un muet dans un mégaphone

Elle n’avait pas voulu qu’il reste, qu’il ne la voit dans cet état. Il avait insisté pour rester, c’était pour elle qu’il revenait à Donwell après tout, mais son père avait fini par lui demander de sortir une heure ou deux. Tu ne vois pas que ça empire les choses qu’elle te sache ici ? Voilà ce qu’il lui avait dit, et Philipp n’avait rien trouvé à répliquer. Il pouvait voir que sa mère essayait de rester forte, pour lui, mais tout ce qu’il avait envie de lui dire c’était de ne pas se forcer, de ne pas essayer de le protéger. Il était assez fort pour la soutenir, en tout cas il pensait l’être. Mais pour cette fois, il avait obéi. Il avait attrapé un blouson, son portable et son portefeuille, et il était sorti. Philipp marchait dans les rues du village sans regarder où il marchait et sans savoir où il allait, ses pensées bien trop occupées par des images de sa mère effondrée sur le parquet du salon. Le visage pâle, les traits tirés, les larmes aux yeux. Il détestait la voir comme ça, mais il avait envie d’être là pour elle, c’était son devoir. Elle l’avait toujours choyé, protégé, et maintenant c’était son tour. Le joueur de foot était si pris dans ses pensées qu’il ne releva la tête qu’en arrivant sur la place de l’église. Ses pieds l’avaient amené presque machinalement ici, mais maintenant qu’il était là, il ne savait plus quoi faire. À Londres, il aurait pu se balader pendant des heures, découvrir de nouveaux lieux, mais il connaissait les rues de Donwell par cœur, et aucun endroit ne le tentait. Il était en train de se demander s’il ne ferait pas mieux d’aller s’asseoir devant chez ses parents en attendant qu’on le laisse rentrer quand une voix familière attira son attention. Il leva les yeux et força un sourire en voyant Townes ranger son portable et se diriger vers lui. Philipp ne connaissait pas grand monde à Donwell, il avait gardé plus d’amis à Londres que dans son village natal, mais Townes faisait partie de ces quelques personnes que le milieu de terrain appréciait, sans trop savoir pourquoi. Elle était nature, et puis c’était une des rares personne du village qui lui parlait pour autre chose que des places gratuites pour ses matchs de premier league. Il se pencha machinalement vers elle pour lui faire la bise, essayant de chasser les images de sa mère de son esprit. ”C’est un peu ça, oui.” Philipp n’avait pas envie de lui parler de sa mère, de pourquoi il traînait ici plutôt que de passer du temps avec elle. Lui en parler reviendrait à admettre que sa maladie est réelle, et ça, il n’y était pas encore prêt. ”Tu allais quelque part ou tu te balades juste ?” Philippe se tourna comme pour vérifier s’il y avait un endroit dans les parages où elle aurait pu aller, mais les rues de la place n’offraient pas énormément de choix. Le salon de thé était encore ouvert, mais Philippe espérait presque que la jeune femme lui propose un verre au pub quelques rues plus loin. Il ne buvait que rarement, préférant faire attention à son corps pour pouvoir être au mieux physiquement, mais ce soir, il avait besoin d’un remontant.

Philippe sentit ses muscles se détendre légèrement en entendant Townes proposer d’aller au pub quelques rues plus loin. Il le connaissait bien, tous ses potes y avaient passé leurs étés pendant que lui faisait des tours de terrain, s'entraînait à frapper, étudiait des tactiques. De toute façon, des pubs à Donwell, il n’y en avait qu’un seul. Il avait prévu de errer dans les rues du village pour laisser le temps à sa mère de se reposer, de se remettre, mais le fait de croiser Townes avait été une heureuse coïncidence. ”Pourquoi pas.” Il répondit en haussant les épaules, comme s’il s’en fichait. Il n’était pas dupe, tout le village était au courant pour sa mère, était au courant qu’il revenait souvent la voir, et s’il était dehors ce soir, Townes pouvait aisément deviner que c’était pour fuir la maison familiale, la douleur, les larmes sur le visage de sa mère. Et pourtant, qu’elle le sache ou pas, il était hors de question de le montrer. C’était plus une question d’habitude qu’autre chose, un instinct bien rodé qui le poussait à vouloir protéger sa mère de tout, même du simple regard des autres. À peine avait-il parlé que Townes avait déjà commencé à marcher en direction du White Horse, d’un pas tranquille, mais avec l’air de quelqu’un qui sait pertinemment qu’elle va être suivie. Et elle n’avait pas tort. Philipp la rattrapa facilement, puis ralentissant ses pas une fois revenu à sa hauteur. Il ne put pas s’empêcher de sourire en l’entendant aborder le foot comme sujet. Elle n’y connaissait rien, et il le savait très bien, mais si elle en parlait c’était sans doute pour essayer de le mettre à l’aise. ”Les Russes pour mon club, pas les Qataris. Mais pas loin.” Il lui lança un petit sourire en coin, amusé malgré tout. ”Et je pense qu’ils ne seraient pas très satisfaits d’avoir investi autant pour jouer en 8ème division.” La vérité c’était que Philipp n’aurait surtout jamais accepté de jouer pour un club en dehors de la premier league. Il avait travaillé trop dur pour faire du football autre chose qu’un hobby, une occupation du dimanche matin avant d’aller boire des bières. Le foot, c’était toute sa vie. Pourtant ce soir, il avait envie de parler d’autre chose, il avait besoin de s’éloigner le plus possible de sa vie. Pour une soirée, il voulait se laisser absorber par quelqu’un d’autre. Penser à autre chose que ses problèmes. ”Et toi alors ? Tu te cherches encore ?” Philippe avait plongé les mains dans ses poches pour s’empêcher de mimer  des guillemets autour de l’expression se chercher. Lui qui avait toujours eu un but clair dans la vie, de l’ambition à revendre, il ne pouvait pas comprendre qu’on puisse vivre sans se battre tous les jours pour atteindre le top, pour être reconnu. Il ne pouvait pas passer un jour sans parler de foot, et pourtant, il aurait été incapable de dire quelle était la passion de Townes. Elle lui donnait parfois l’impression d’errer dans sa propre vie, de se contenter de son héritage, de ses petits boulots, sans rien chercher de plus. ”Tu vas bien finir par trouver un boulot qui te plaît, non ?”