reality can be so overrated (juliet + joanne)

Dire que Joanne était paumée aurait été l’euphémisme du siècle. Elle avait le sentiment que sa vie avait été mise sens dessus dessous en l’espace de quelques mois, presque sans qu’elle s’en rende compte. Sa vie n’avait sans doute pas été très heureuse avant la rencontre d’Alan, mais au moins elle avait été claire. Presque simple. À cette époque, elle savait où était sa place, ce qu’elle devait faire pour s’en sortir, pour rester sous le radar, mais aujourd’hui tous ses repères avaient volé en éclats et le pire, c’était que Joanne n’était pas certaine de réussir à vraiment le regretter. Le médecin avait ouvert une porte, et le courant d’air créé par son mouvement avait chamboulé tout ce que Joanne avait mis des années à essayer de ranger, de cacher dans des petites boîtes bien propres. Aujourd’hui, elle n’avait plus de repères, elle ne savait plus quoi penser. Le psychologue lui avait dit qu’il éprouvait des sentiments pour elle, et pourtant elle l’avait bien vu à la soirée chez les Wickham avec son ex-femme à son bras. Une femme que Joanne avait déjà croisé, en plus. Elle avait reconnu la jeune femme immédiatement, s’était rappelé de sa gentillesse, de sa douceur, mais cela ne l’avait pas empêché de la détester instinctivement, sans oser s’expliquer pourquoi. Le fait qu’elle accompagne Alan avait été assez, et depuis ce soir là, Joanne ne pouvait pas s’empêcher de repenser à la jeune femme, de se demander quelle place elle avait dans la vie du médecin, si ils n’étaient vraiment plus ensemble. Elle savait que ça ne changerait sans doute rien, qu’elle ne pourrait jamais être avec Alan, qu’il ait encore des sentiments pour son ex ou non, mais ça ne l’empêchait pas d’y penser, nuit et jour. De se torturer avec. Alors elle se baladait dans la ville pour tenter de se changer les idées, pour se forcer à se concentrer sur son rôle, sur les petits sourires pour les villageois, sur les petits achats dans les boutiques du centre ville. Sur son rôle de femme de George. Elle aperçut le salon de thé où elle avait passé des moments avec Alan et Tess et son cœur se serra, mais elle en prit tout de même la direction. C’était comme si une partie perverse de son cerveau cherchait à la faire souffrir, refusait de la laisser oublier, ne serait-ce que pour quelques heures. Elle jeta des regards discrets autour d’elle pour s’assurer de ne pas apercevoir Alan ou sa fille, puis entra dans le salon de thé en laissant échapper un petit soupir de soulagement. Elle pourrait prendre un café dans un coin discret du salon de thé, sans que personne ne la remarque. Et si une partie de Joanne espérait qu’Alan entrerait dans le coffee shop, elle faisait de son mieux pour l’ignorer. Quelques personnes se tenaient dans la queue devant elle, et Joanne enleva son écharpe pour la poser sur son coude, donnant un léger coup involontaire à la personne devant elle. ”Pardon,” souffla-t-elle. La brune se retourna et Joanne sentit son sang se glacer dans ses veines. L’ex-femme du psychologue se tenait face à elle, et Joanne se retrouva figée de stupeur. Quelqu’un dans l’univers complotait contre elle, elle en était désormais certaine. Elle avait  envie de faire volte face, de s’enfuir, mais ses jambes semblaient lourdes comme du béton, comme collées au parquet. ”Oh… Bonjour.” Avec un peu de chance la jeune femme lui lancerait un sourire gêné avant de se tourner et de l’ignorer.

Joanne commençait vraiment à croire que l’univers lui en voulait, essayait de la punir. Pourquoi, elle n’en savait rien, mais elle avait de plus en plus le sentiment que le sort s’acharnait contre elle, et le fait de tomber par hasard sur l’ex-femme d’Alan dans le village ne faisait que la comforter dans cette impression. La surprise devait être évidente sur son visage, mais elle se força à retrouver un air calme et sympathique en entendant Juliet lui demander comment elle allait. Elle aurait aimé que la secrétaire médicale fasse semblant de ne pas la reconnaître, ou bien lui lance un sourire gêné avant de se retourner, mais comme souvent, Joanne n’avait pas eu ce qu’elle espérait. Un léger frisson la traversa, et elle se sentit stupide de se laisser toucher autant par une question si anodine. Non, rien n’allait, mais ça elle ne pouvait pas le laisser paraître, et encore moins le dire. Un sourire sans doute un peu tendu sur les lèvres, Joanne serra ses bras contre sa poitrine comme par réflexe. Ses doigts avaient pris la fâcheuse habitude de venir protéger ses bleus dès qu’elle se sentait mal à l’aise, prise au piège. ”Je vais bien. Et vous ?”

Un mensonge, un de plus. Elle n’était plus à ça près. Une partie d'elle-même aurait préféré ne pas poser la question, se montrer assez sèche et malpolie pour pouvoir rester seule. Ou mieux encore, simplement faire demi-tour en ignorant la jeune femme. Mais voilà, Joanne en aurait été incapable. Elle ne pouvait pas se le permettre, George lui en aurait voulu de se montrer impolie, et elle n’avait pas envie de se montrer méchante envers Juliet, quoi que son coeur puisse lui souffler. Elle était peut-être l’ex-femme d’Alan, la mère de Tess, mais elle avait aussi été la secrétaire douce et discrète qui lui avait évité beaucoup d’embarras. ”C’est votre jour de congés ?” Le sort ne s’acharnait pas seul contre elle, il fallait croire que Joanne lui donnait également un coup de main.

Joanne aurait voulu s’enfuir, aller s’enfermer chez elle et ne plus voir personne, et pourtant elle continuait à aller se balader régulièrement, et aujourd’hui elle restait dans le salon de thé à faire la conversation avec la femme qu’elle aurait sans doute le plus aimé éviter. Il fallait croire qu’elle aimait empirer la situation. Les bras serrés autour de sa poitrine, protégeant inconsciemment ses ecchymoses récentes, elle écouta Juliet lui expliquer qu’elle venait de finir sa journée car elle avait dû faire plus d’heures ce matin là. Joanne se demandait ce que ça pouvait faire d’avoir des horaires de travail, des contraintes pareil. Ça faisait bien longtemps qu’elle n’avait plus rien eu à faire de ses journées à part représenter la famille Hawkes, s’occuper de son petit mari, de son petit foyer, et préparer l’arrivée d’enfants qu’elle n’aurait finalement jamais. Elle passait ses journées sans aucun but, sans aucune contraintes, et elle se rendait maintenant compte que ces contraintes lui manquaient. Elle aurait donné beaucoup pour un travail éprouvant, un quotidien épuisant qui l’aidait à s’endormir la nuit. Elle serra légèrement le point entre ses bras en entendant la question suivante de la secrétaire médicale. Bien sur qu’elle devait se demander ce qu’elle faisait, tout le monde avait une occupation. Tout le monde sauf elle à priori. Elle se força à sourire, sans grande conviction. ”Oh, je suis… femme au foyer.” Elle avait failli dire mère au foyer, une phrase qu’elle s’était souvent répété en anticipation de l’heureux événement, pour essayer de se convaincre qu’il était normal qu’elle reste à la maison pendant que George allait travailler, qu’elle allait bientôt avoir beaucoup à faire. Tout ça paraissait loin maintenant.

L’employée au comptoir appela la suivante dans la file et Juliet avança finalement, permettant à Joanne de prendre une longue inspiration pour tenter de retrouver ses nerfs. Elle n’était même plus capable de tenir une simple conversation sans s’effondrer, sans avoir envie de pleurer. Elle était pathétique. Juliet passa sa commande avant de se tourner vers Joanne pour lui proposer de prendre leur boisson ensemble. Elle n’aurait pas dû être surprise, Juliet était une femme gentille et à priori sociable, mais elle avait quand même espéré pouvoir s’en sortir. Pourtant, elle savait qu’elle ne pouvait pas refuser. C’était son rôle, ce que George attendait d’elle. Elle hocha la tête, un sourire timide aux lèvres. ”Oui, bien sur.” Joanne se tourna vers la serveuse et lui demanda un café allongé avant de suivre Juliet vers une table à côté de la vitre du salon de thé. Elles pouvaient voir les passants dans la rue, et Joanne se prit à imaginer qu’Alan allait passer devant elles, les voir ensemble. Elle se sentit soudain coupable, sans bien réussir à comprendre pourquoi. Elle s’installa après avoir posé son manteau et son écharpe sur le dossier de la chaise. Maintenant qu’elle y pensait, c’était peut-être une bonne occasion d’aborder le sujet d’Alan, d’en savoir plus sur la relation qu’il entretenait avec son ex-femme, mais encore fallait-il oser aborder le sujet. Il fallait être certaine que Juliet n’en devine pas trop de son côté, et ça, Joanne savait que ça n’allait pas être évident. ”Je vous ai aperçue l’autre soir au gala chez les Wickham, je ne savais pas que vous les connaissiez.” Joanne fit de son mieux pour paraître neutre, pour ne rien laisser paraître, mais elle avait le sentiment d’être complètement transparente.

À peine avait-elle abordé le sujet du gala chez les Wickham que Joanne regretta sa question. Elle avait envie d’en apprendre plus sur Juliet et Alan, mais elle savait également qu’elle n’avait aucun droit de creuser la question. Pire que cela, elle avait peur que Juliet ne devine quelque chose, qu’elle ne lise quelque chose dans son regard. Joanne avait passé des années à cacher ses pensées, ses émotions, mais depuis quelques mois tout ça lui semblait presque impossible, et elle avait l’impression que tout le village arrivait à lire en elle sans même avoir à essayer. C’était peut-être sa conscience qui lui jouait des tours, même si elle était incapable de savoir si sa conscience lui reprocherait ses sentiments pour Alan ou le fait d’être restée avec George. Joanne lança un sourire timide à la jeune femme assise face à elle en écoutant sa réponse. Alors comme ça elle ne connaissait pas vraiment les Wickham, non pas que Joanne en soit véritablement étonnée. Connaissant les Wickham ils avaient invité tout le village, connaissances et inconnus. La blonde remit une mèche de cheveux derrière son oreille, les yeux posés sur la table. ”Oh, oui, en quelque sorte.” Elle s’éclaircit la gorge avant de reprendre d’une voix qu’elle espérait posée et neutre. ”Mon mari a eu l’occasion de travailler avec eux, c’est surtout lui qui les connait.” La vérité c’était qu’elle connaissait sans doute encore moins de gens à Donwell que Juliet. Toutes ses connaissances étaient les associés, les collègues, les potes de son mari. Elle, elle ne connaissait personne, à part Alan et Tess, et depuis qu’elle s’était enfuie de son cabinet, elle était plus seule que jamais. C’est peut-être cette pensée qui lui donna le courage, ou la folie, de prononcer la phrase suivante. ”J’ai surtout accompagné mon mari à cette soirée, mais vous y étiez avec quelqu’un aussi, non ?” Joanne se força à lever les yeux vers le visage de Juliet, comme pour essayer de lire sa réaction, tout en espérant que rien ne la trahirait elle-même. ”Votre mari ? Ou votre copain peut-être ?” Elle fit de son mieux pour paraître neutre, presque nonchalante, mais son coeur cognait lourdement dans sa poitrine si bien qu’elle était persuadée que Juliet allait pouvoir le sentir. Il ne restait qu’à espérer que non.

Joanne ne savait pas où elle avait trouvé la force ou la folie d’aborder le sujet d’Alan, mais elle l’avait fait, et il était trop tard pour reculer. Maintenant que la question avait été lancée, la retirer aurait été trop étrange, et Juliet se serait sans doute posé des questions. Elle pouvait sentir son coeur cogner dans sa poitrine, même si elle savait que quelle que soit la réponse de Juliet, elle n’aurait rien à redire. Elle avait l’impression d’interroger une femme qu’elle soupçonnait être la maitresse de son mari alors qu’elle et Alan n’avaient jamais été ensemble. Quelque part, ça la terrifiait. Elle avait connu plusieurs relations avant George, mais aucune comme celle-ci, et pourtant sa relation avec Alan n’existait que dans sa tête. Elle était en train de perdre les pédales, c’était certain, et pourtant elle ne put pas s’empêcher de se sentir soulagée en entendant la réponse de Juliet. Elle n’était pas allée à la soirée avec Alan, elle était simplement tombée sur lui là bas. Plus que ça, Joanne était soulagée de l’entendre parler du médecin comme son ex-mari, mais son soulagement fut de courte durée. La question de Juliet la prit de court, même si ça n’aurait pas dû être le cas. Elle aurait dû se douter que la jeune femme lui poserait la question, et pourtant, Joanne ne s’était pas préparée. Elle sentit ses joues commencer à brûler, mais heureusement pour elle la serveuse arriva pile à temps, lui permettant de souffler pour réfléchir à une réponse. Elle ne pouvait pas admettre à Juliet qu’elle connaissait Alan, qu’il avait été son psychologue, elle ne pouvait l’admettre à personne. Et pourtant, est-ce que Juliet ne trouverait pas ça étrange qu’elle lui parle d’un homme qu’elle ne connaissait pas ? La serveuse posa leurs tasses et Joanne se retrouva à court de temps, alors elle donna la réponse qui lui semblait la moins risquée. ”Oh non, je n’ai jamais consulté de psychologue, et mon mari non plus.” Joanne touilla son café pour gagner quelques secondes, pour essayer de rendre la suite crédible. ”Mais on l’a peut-être croisé à des événements du village. Mon beau-père est au conseil municipal, alors on participe pas mal à la vie du village.” Une réponse neutre et peu risquée, en tout cas elle l’espérait. Joanne savait qu’elle jouait un jeu dangereux, et qu’elle ne devait pas trop en faire sous peine de se faire démasquer, mais elle n’arrivait pas à s’en empêcher. Elle avait envie, besoin d’en savoir plus. Elle réajusta sa position sur la chaise avant d’attraper le regard de Juliet. ”Vous vous êtes séparés il y a longtemps ?” Elle sentit instantanément qu’elle était sans doute allée trop loin, et elle sursauta presque dans sa chaise. Joanne baissa le regard vers la table tout en secouant légèrement la tête. ”Enfin si ce n’est pas indiscret. Vous n’êtes pas obligée de me répondre, bien sur.”