we're not dead just out of tune, i'll see you in the neighborhood w/ juliet (la suite)

Enchaînant les sujets tantôt gênants, tantôt captivants, Juliet et Alan discutaient dans un coin du White Horse depuis plus de deux heures. C’était qu’ils en avaient des choses à se raconter, depuis le temps qu’ils ne s’étaient pas vus, et comme ils avaient décidé d’agir en adultes et de discuter comme des amis, et non comme des ex-époux, la conversation était variée. Alan se rendait compte, de plus en plus, que malgré ce que Juliet lui avait fait et ce qu’elle avait fait à Tess surtout, elle n’était pas fondamentalement mauvaise… c’était bon de se rappeler de qui elle était avant qu’il ne se mette à la détester. Et pour une fois, il mettait de côté son ressentiment et profitait simplement de sa soirée.

Ils étaient bien éméchés. Après plusieurs pintes de bière, les langues se déliaient, les esprits s’échauffaient un peu, et Alan perdait notamment tout sens de la réalité. L’heure qu’il était, les personnes qui l’entouraient, le lieu dans lequel il évoluait. Heureusement, il ne travaillait pas le lendemain, sinon ça aurait vite été compliqué d’assumer une journée de consultations bien éprouvantes. Il n’avait plus vingt ans et se remettre d’une soirée arrosée n’était plus une mince affaire. Mais maintenant qu’il était parti à boire, il n’allait pas s’arrêter de si tôt. Surtout si Juliet continuait elle aussi. Toutefois, le psychologue sentait que la soirée allait toucher à sa fin, le pub commençait à se vider, tout le monde était débraillé et parlait très fort… et surtout leurs sujets de conversation venaient à manquer, surtout du côté d’Alan. Il se forçait de ne pas trop parler de Tess, et, bien sûr, il avait vite fait le tour du reste de sa vie plutôt tranquille. Bien évidemment, il n’était pas encore assez ivre pour oser parler de Joanne, et de toute façon, Juliet ne comprendrait pas. Dans un éclair de lucidité, mais toujours bourré, il se rendit compte que Juliet et Joanne commençaient par la même lettre et laissa échapper un petit rire tout sauf viril, et se reprit bien vite avant que son amour de jeunesse ne lui demande ce qui lui arrivait. Il releva les yeux vers Juliet avec un grand sourire et reprit la parole, pour une énième fois dans cette longue soirée : « Je crois que j’ai trop bu, on ferait mieux de rentrer, tu crois pas ? » Quoi qu’il puisse arriver dans le futur, il avait passé une excellente soirée, et il avait l’illusion que Juliet et lui pouvaient redevenir les amis qu’ils étaient au tout début, avec vingt ans dans la vue… mais le lui de huit heures plus tard n’allait sûrement pas penser la même chose, au réveil. En attendant, il espérait que Juliet puisse le ramener chez lui sans encombre, parce qu’il n’était pas sûr de savoir le faire lui-même.

Spoiler:

Juliet n'était pas du tout partie de chez elle avec l'idée que la soirée allait autant s'éterniser. Si elle était plutôt contente qu'elle et Alan aient décidé de se comporter en adultes et de tenter de s'entendre à nouveau, au moins pour apaiser les tensions entre eux et repartir sur un bon pied, amicalement parlant, elle ne pensait pas que cela se déroulerait aussi bien. L'alcool coulant à flots entre eux et aidant beaucoup, ils n'ont pas mis très longtemps à voir leurs langues se délier et à parler comme ils l'auraient fait quinze ans auparavant. A l'époque, Juliet ne pouvait pas encore boire autant, du moins pas en public, mais elle retrouve toutefois les mêmes sentiments à son égard qu'elle a pu avoir. L'amour en moins. Il ne reste qu'une sourde affection, quelque chose de tendre qui l'accompagne ce soir, et qui l'aide à passer au-dessus de tous les traumatismes qu'a pu lui faire subir Alan, même si ce n'était pas volontaire de sa part.

Le bar commence à bien se vider, et ils sont bientôt parmi les derniers à se trouver à l'étage. Alan finit par évoquer cette fin de soirée, ce qui cause chez Juliet une forte déception, décuplée par les effets de l'alcool. Elle n'a même pas dîné ce soir, aussi la première pinte a rapidement fait le travail, avant que les autres ne l'achèvent. Elle sent bien qu'elle va le regretter dès son réveil, mais elle n'est pas en position d'y penser avec clarté pour le moment. "Oh non..." commence-t-elle, un peu trop fort. "Mais t'as raison. Faut qu'on soit raisonnable." Elle se lève avant de trébucher quelque peu et d'éclater de rire. Un rire bien gras, qui ne laisse aucune place au doute sur son état. "Allez, je finis ça et on décolle," lance-t-elle en attrapant sa pinte pour la terminer d'une traite. Il ne restait qu'un fond, mais Juliet n'est pas du genre à gâcher de l'alcool. Au même moment, l'un des serveurs débarque à l'étage pour commencer à débarrasser et à faire le ménage, rappelant aux derniers clients que l'heure de fermeture est proche et qu'ils doivent penser à décamper rapidement. Juliet le gratifie d'un sourire troublé par l'alcool en passant devant lui, avant de prendre l'escalier en faisant bien attention à ne pas tomber. "Oh, attends, j'ai une idée !" s'exclame-t-elle une fois qu'elle se retrouve devant le bar, en compagnie d'Alan. Elle commence à remettre sa veste sur le dos, avant de poursuivre : "Et si je te montrais mon appartement ? T'as pas encore vu où je vis maintenant !"

Alan fit la moue en entendant la réponse de Juliet. Lui non plus n’avait pas vraiment envie que la soirée se termine. Il s’amusait beaucoup, ils avaient énormément discuté, de tout et de rien. Mais toutes les bonnes choses avaient une fin. Et il avait besoin d’avaler quelque chose de solide, et d’aller dormir. Vu l’état dans lequel était Juliet, il n’était pas le seul… Ils se levèrent un peu trop rapidement, la brune trébucha, et Alan se retint d’éclater de rire. Elle avala les dernières gorgées de sa bière, et commença à avancer vers les escaliers d’un pas décidé. Le psychologue réprima un rire presque angoissé en voyant les marches et en se demandant s’il allait passer cette épreuve sans y laisser des plumes. Dans le même temps, il essayait de prêter une oreille attentive à Juliet pour ne rien louper de ce qu’elle lui disait. Alan avait l’impression de revivre leurs meilleurs moments, leurs meilleurs souvenirs, quinze ans auparavant. Et même s’il savait que ce n’était pas bon, qu’il ne devait pas céder à des pulsions d’ado, il était complètement ivre, et ce serait compliqué d’agir autrement. Alors, quand la brune émit l’idée de l’emmener visiter son appartement, en plein milieu de la nuit, il ne put qu’approuver en trouvant ce plan génial : « Excellente idée ! On n’est pas loin ? J’ai trop envie de voir comment tu as décoré ! » Et puis, il était curieux, aussi. Il voulait savoir où vivait son ex-femme, ce qui faisait partie intégrante de sa vie, désormais… Voir s’il retrouvait des éléments de son passé… Mais dans l’état où il se trouvait actuellement, il ne se rappellerait peut-être pas de beaucoup de choses le lendemain matin. « D’ailleurs, tu vis où ? » lui demanda-t-il en riant, comprenant qu’il ne savait même pas dans quel quartier elle avait établi sa nouvelle vie. « Je ne vais pas te proposer de visiter ma maison en tout cas, je crois que tu la connais déjà ! » Il continua de rire, très fier de ses propos, avant de sortir du bar après avoir payé le reste de leurs consommations au comptoir. L’air frais de l’extérieur lui fit un bien fou et il l’huma à pleins poumons, avant de se retourner vers Juliet pour la suivre dans leur nouvelle aventure.

Plutôt que de passer la nuit au bar -alors qu'ils ne pourraient même pas, en fait- Juliet se montre aussi raisonnable qu'Alan et choisit de prendre le chemin de la sortie. Une fois dehors, la folie de l'alcool la rattrape vite, et dans un élan bien trop joyeux, elle propose à son ex-mari de terminer la soirée chez elle, afin qu'elle lui fasse visiter son tout nouvel appartement. Son cerveau embrumé fait fi des convenances et de ce qui les unit désormais. Une relation douloureuse, compliquée, mais surtout passée. "Non, on n'est pas loin du tout, t'inquiète pas... De toute façon, Donwell ça a jamais été bien grand !" répond Juliet en riant. Ils se mettent doucement en marche dans la direction que Juliet indique d'un geste de la main plus ou moins précis. "Au bord de la mer..." Devant l'air d'Alan, elle ne peut s'empêcher d'ajouter, d'une voix pompeuse : "Et oui, on voit la mer depuis la fenêtre du salon... Bon, tu devras me croire parce qu'il fait trop noir pour vérifier." Ils quittent la lumière de la rue du bar et s'enfoncent dans la pénombre d'une avenue à peine éclairée, tous deux titubant quelque peu. Juliet croise ses bras dans le but de se donner un peu plus chaud. Même si les températures sont des plus clémentes peu importe la saison à Donwell, le vent marin apporte tout de même une fraîcheur difficile à ignorer, une fois la nuit tombée. Peu consciente de la gravité de la blague d'Alan, Juliet l'accompagne dans un rire plutôt gras. "Ouais, effectivement..." Elle ne relève pas plus que ça, plus concentrée sur la route qu'autre chose. Une fois qu'elle commence à reconnaître les habitations qui composent la rue qu'elle habite, Juliet récupère ses clefs dans son sac à main. "On y est !" s'exclame-t-elle, en glissant le passe devant le petit détecteur de la porte. Elle laisse Alan entrer, puis pense à bien refermer derrière elle, la porte ayant tendance à se montrer capricieuse. Au second étage, Juliet fait jouer sa clef dans sa serrure, puis ouvre la porte de son appartement. "Bienvenue chez moi !" fait-elle en s'écartant pour laisser entrer Alan, après avoir allumé la lumière dans la pièce à vivre. "Installe-toi, fais comme chez toi... Qu'est-ce que je te sers à boire ?" propose-t-elle directement en refermant la porte derrière elle.

La réalité, c’était qu’une fois passée l’animosité qu’Alan avait pu ressentir pour Juliet et ce qu’elle avait fait à leur famille, il était plutôt heureux pour elle, qu’elle réussisse à mener sa vie comme elle l’entendait vraiment, qu’elle puisse se permettre d’avoir un petit appartement en bord de mer, qu’elle ait un travail qui la mette en joie, que tout aille bien. C’était tout ce qu’il lui souhaitait, encore plus dans son esprit tout embrumé par les vapeurs d’alcool et toute la bière qu’il avait ingurgitée en sa compagnie. Ils ne furent pas long à arriver dans le quartier de la brune et il la suivit en marchant prudemment, un pied après l’autre, en essayant de ne pas se rétamer sur le bord du trottoir. Les rues étaient vides, il n’y avait pas âme qui vive. Tout était calme. En quelques instants, ils montèrent dans l’appartement de Juliet et elle l’invita à faire comme chez lui. « Je te remercie ! » répliqua-t-il avec un grand sourire niais. « La même chose que toi ! Enfin pas du trop fort quand même, je suis pas sûre de tenir très longtemps ! » Il avait été à deux doigts de lui demander de l’eau mais il savait qu’elle allait le charrier s’il faisait cela. Il l’observa filer dans sa cuisine et entendit des verres s’entrechoquer, pendant que son regard glissa sur les meubles ornant la pièce, la décoration, le canapé sur lequel il prit place en soupirant d’aise. Il n’y avait pas de doute : il était bien chez Juliet, tout en cette pièce lui faisait penser à elle. C’était aussi dérangeant que bienfaisant. Il n’eut pas le temps de se préoccuper de ce qu’il ressentait à cette idée que Juliet était déjà de retour et lui tendait son verre, qu’il prit avec précaution. « A la tienne ! » Les verres tintèrent quand ils se touchèrent et Alan but la moitié du sien en deux longues gorgées. Il n’était même pas sûr de pouvoir rentrer à ce rythme là, et pourtant, il avait promis à Tess qu’il rentrerait à la maison en un seul morceau. Si elle apprenait qu’il avait passé la soirée avec sa mère et qu’il avait même terminé chez elle, elle lui ferait la tronche pendant longtemps, à son avis. Mais pour le moment, c’était le cadet de ses soucis. « Tu es bien installée en tout cas ! C’est très joli ! Tu me fais visiter ? » Il y avait quelque chose qu’Alan adorait, c’était visiter des maisons ou des appartements. Mais encore plus quand il s’agissait de celui de son ex-femme…

Assez de mots après le trajet, place à l'alcool, maintenant qu'ils sont arrivés chez Juliet ! Elle se souvient qu'elle a une bouteille de vin ouverte au réfrigérateur, et opte pour ce choix étant donné la réponse d'Alan. Quelque chose de pas trop fort... Elle émet un petit rire, se retenant de clairement le charrier à  propos de sa demande. Juliet file dans la cuisine et récupère deux verres à vin ainsi que la bouteille, avant de les remplir. Elle remet maladroitement la bouteille dans le frigo, puis retourne au salon auprès d'Alan, à qui elle tend son verre. "Vin blanc, du coup ! A la tienne également !" Les verres s'entrechoquent, et Juliet n'a même pas le temps de boire une gorgée qu'Alan en prend plusieurs d'un coup. La jeune femme ouvre grand les yeux, avant d'éclater de rire. "Pour quelqu'un qui voulait rien de trop fort, je trouve que t'as encore une sacrée descente !" commente-t-elle. Elle prend ensuite une gorgée, et grimace car le vin est plutôt frais. Un sourire vient vite remplacer cette grimace, puisqu'Alan a demandé à Juliet de le faire visiter. "Merci ! Evidemment que je vais te faire visiter !" acquiesce-t-elle fièrement. "Bon... Ici y'a le salon, et la minuscule salle à manger. Ca suffit, pour quelqu'un de seul... Et je reçois vraaaaaaiment pas beaucoup..." laisse traîner la brune avec une moue triste. Non pas qu'elle aimerait faire des dîners à la pelle tous les week-end, mais elle n'a même pas encore honoré cette table avec rien qu'un dîner galant. "La cuisine, ici, ouverte sur la salle à manger," lance-t-elle ensuite. Elle laisse quelques secondes à Alan pour tout observer, puis l'invite à la suivre en direction des autres pièces. "J'ai un placard dans l'entrée, ici, et j'en ai aussi un dans le petit cellier..." Juliet ouvre une porte qui donne sur une pièce minuscule pourvue uniquement d'étagères, d'une petite armoire et d'une chaudière, surplombant quelques affaires pour le ménage et les travaux. "Là y'a la salle de bains... Les toilettes, aussi, si t'as besoin," taquine-t-elle avec un regard équivoque vers son ex-mari. "Là j'ai un bureau..." indique Juliet en passant à la pièce au bout du couloir, en forme de L. "Et là... Ma chambre..." termine-t-elle après avoir ouvert la porte de cette dernière.

Juliet n'a pas souhaité volontairement terminer la visite de son appartement par sa chambre. Elle se rend bien compte que leur position, sur le pas de cette dernière, crée une espèce de flottement entre eux. Comme si Alan avait peur de ce qu'il pourrait trouver dans le lit de son ex-femme. Elle sourit quelque peu à cette pensée, tout en tournant le dos à Alan afin d'aller remettre en place le traversin sur son lit. Elle finit par rejoindre Alan quand il demande si elle se bien, chez elle. Juliet hoche la tête, à nouveau plantée devant lui. Elle sent bien qu'il fuit son regard, mais ne s'en offusque pas pour autant. Elle aussi, serait certainement gênée si elle se trouvait à la place d'Alan, devant une chambre dans laquelle il n'a plus aucun droit, mais qui peut pourtant lui rappeler des souvenirs pas si lointains que ça. "Oh, j'en sais rien, j'ai jamais essayé ! Mais maintenant que tu le dis, je danserais bien aussi !" répond-elle en levant d'un coup son bras libre -l'autre tenant toujours et tant bien que mal le verre de vin-. Elle gratifie son ex-mari d'un large sourire puis l'intime de la suivre jusqu'au salon, où elle allume la chaîne hi-fi et la positionne en recherche de bluetooth. "Tiens, mets ce que tu veux, je te fais confiance," lance-t-elle à Alan en se dirigeant vers la cuisine. "Tu veux encore du vin ?" Juliet a presque terminé le sien, et souhaite s'en servir à nouveau avant d'être complètement à sec. "Oh, euh... Et si tu doutes du fonctionnement de l'enceinte, c'est qu'il faut monter le son dessus ! J'ai quelques soucis entre mes appareils qui y sont connectés, donc parfois ça baisse tout à fait le son..." raconte Juliet d'une voix distraite, trop concentrée à se servir du vin.

Alan souffla intérieurement, bien content que son idée soit partagée par Juliet. S’il pouvait éviter cette chambre où il se sentait si étranger, il le ferait avec plaisir. Il la suivit jusqu’au salon, soulagé comme jamais, avant de la regarder s’affairer autour de ses enceintes, appuyant tantôt sur un bouton, en tournant tantôt un autre pour régler le volume. Le psychologue lui fit un large sourire quand elle lui laissa le choix de ce qu’ils écouteraient, et il attrapa son téléphone dans sa poche de pantalon pour laisser libre cours à son mode aléatoire. « Volontiers, pour le vin, on n’a jamais assez bu, je pense ! » Il ricana légèrement, avant de déposer son téléphone à côté de la chaine pour ne pas le perdre ou l’oublier quand il repartirait. Les premières notes d’une de ses chansons préférées emplirent doucement la pièce, et sur les conseils avisés de Juliet, il commença à lui aussi toucher aux boutons de la chaine hi-fi pour mieux entendre. Puis, il se redirigea vers la cuisine pour la rejoindre et lui donner son verre de vin vide. « Ça ne va pas être beau à voir demain matin, je crois ! » lança-t-il en riant, en désignant leurs verres remplis de vin blanc. « On a fait des mélanges en plus, j’espère que tu as des antidouleurs. » Pour sa part, il savait déjà que Tess allait se moquer de lui, mais qu’elle lui ferait aussi la leçon parce qu’il n’était pas rentré à l’heure prévue. Il savait que ce n’était pas bien qu’il la laisse toute seule ainsi… mais elle avait son portable, si jamais il se passait quoi que ce soit, il n’était pas loin. Donwell n’était pas si grande. Alan récupéra son verre, dans ses pensées, avant de regarder à nouveau Juliet, oubliant tout ce qu’il lui passait par la tête. « Bon alors, on danse ? » Il lui fit un grand sourire avant de lui prendre la main pour retourner du côté du salon et entamer des pas de danse très moches, mais très endiablés, comme lorsqu’ils étaient encore de jeunes amoureux, et que leurs soirées n’étaient rythmées que par leurs volontés, leur incroyable infatigabilité et leur volonté de s’amuser, comme si le lendemain n’allait pas exister. Ils se fichaient bien du reste du monde, à l’époque. Ce n’était pas différent ce soir-là, avec tout l’alcool qu’ils avaient ingéré.

Juliet a à peine terminé de remplir -un peu trop généreusement- son verre, qu'Alan la rejoint avec le sien. "Ah ! Ca non... Mais... Est-ce qu'on s'en foutrait pas un peu ?!" questionne Juliet de façon rhétorique en attrapant le pied du verre d'Alan pour le poser sur la table et entreprendre de le remplir. Elle y termine même la bouteille et la regarde, d'un air dépité. "Merde... Plus de vin... J'dois encore avoir des bouteilles dans le cellier, j'irai voir après, si tu veux encore quelque chose. Sinon j'ai de la bière, ou... Plus fort," suggère-t-elle malicieusement en plantant ses yeux dans ceux de son ex-mari. "Ouiiii, je sais, tu m'as dit que tu voulais rien de trop fort, mais tu peux pas m'en vouloir d'essayer !" se défend ensuite la brune en riant. Juliet tend son verre à Alan, ils trinquent à nouveau, et après que s'est installé ce même flottement que quelques minutes auparavant, Alan décide de briser la glace en prenant la main de Juliet pour l'entraîner jusqu'au salon, en dansant. Elle ne peut s'empêcher de rire et l'accompagne, du mieux qu'elle peut. Elle finit même par poser son verre sur la table de la salle à manger afin d'épargner ses tapis. "Mais c'est que tu bouges bien encore, pour ton âge !" le taquine-t-elle sans ménagement. Elle s'arrête quelques fois en riant pour boire une gorgée de vin, mais sans presque jamais lâcher la main d'Alan. Jusqu'à ce qu'un mouvement un peu trop brusque les rapproche plus que de raison. Immédiatement, Juliet sent un vertige la prendre. Elle ne s'était pas retrouvée aussi proche de son ex-mari depuis le temps où elle pensait à le quitter pour sauver sa peau. Et encore, à l'époque, elle s'y contraignait pour qu'il ne soupçonne rien et qu'il ne tente pas de la retenir. "Wouaw... Ce second verre de vin était peut-être de trop," murmure Juliet, à quelques centimètres du visage d'Alan.

Alan ne put s’empêcher de rire quand Juliet lui expliqua qu’elle avait sûrement d’autres bouteilles de vin dans son cellier, ou quelque chose de plus fort, se rattrapant ensuite en disant qu’il ne pouvait pas lui en vouloir d’essayer de le faire picoler. Il leva les yeux au ciel, bien conscient qu’elle était bourrée et qu’elle voulait qu’il soit aussi mal qu’elle. Mais ils avaient déjà assez bu, et ce verre de vin devait être le dernier si Alan comptait rentrer en un seul morceau chez lui dans le centre ville. Sans réfléchir plus longtemps, il lui prit la main pour l’emmener danser dans le salon, et ils se trémoussèrent dans comme deux ados pendant un instant, au son de la musique qu’Alan avait choisie quelques minutes avant. Après tellement de verres de bières et de vin dans le sang, ils ne faisaient même plus attention à leurs mouvements et dansaient comme des robots désarticulés - surtout Alan. « C’est vrai que je suis vieux maintenant » répondit le psychologue en éclatant de rire. « Mais tu verras, quand tu auras mon grand âge si tu arrives à bouger comme ça ! » Leurs rires se perdirent dans la musique et Alan continua de danser sans aucune logique pendant un moment. Il se sentait bien, là, et ça faisait très longtemps que ce n’était pas arrivé. Il avait presque l’impression que ces quatre dernières années n’avaient pas existé, que Juliet n’était pas partie, qu’ils avaient encore leur vie ensemble. Comme avant. Son esprit embrumé par l’alcool n’était plus assez clair et lucide pour faire la part des choses. Alors, quand Juliet perdit l’équilibre et commença à tanguer devant lui, Alan la rattrapa quasiment contre lui avant qu’elle ne finisse par terre. La musique lui paraissait sourde, lointaine, et le murmure de son ex-femme était très clair à l’inverse. Le temps semblait suspendu et ce sentiment de flottement qu’il avait ressenti dans la chambre de Juliet lorsqu’elle lui avait fait visiter celle-ci le reprit. « … comme toutes les bières avant ce second verre de vin, je crois, non ? » murmura-t-il à son tour, avant de se pencher vers elle pour l’embrasser. L’instant sembla durer une éternité, et Alan retrouva des émotions qu’il pensait perdues à tout jamais. Revenu quatre ans en arrière, il avait quasiment oublié tout ce que Juliet lui avait fait vivre dans l’intervalle. Le contact de ses lèvres contre les siennes l’électrisa, comme à l’époque, et il se détacha doucement d’elle, assez conscient qu’ils faisaient quelque chose de mal, mais pas assez pour vouloir arrêter. Le monde autour n’existait plus, cette nuit-là.

"Vieux, tout de suite dans l'abuuuuus..." répond Juliet en laissant traîner son dernier mot pour l'emmener dans un éclat de rire des plus joyeux. Si on lui avait dit, il y a un an de cela, qu'elle pourrait passer une soirée comme ça avec son ex-mari, elle n'y aurait pas cru. Les ressentiments étaient encore bien trop présents dans son esprit, à l'époque. Elle n'avait même pas prévu de lui reparler, ni même de s'expliquer clairement sur les raisons de son départ soudain. "Je rappelais seulement qu'on n'est plus des ados !" ajoute-t-elle sans cesser de rire. Jusqu'à ce que l'alcool l'emporte presque dans une chute incontrôlée, Juliet se laisse entraîner par Alan pour des mouvements endiablés bien que désarticulés, se disant que c'était exactement ce dont elle avait besoin pour terminer cette jolie soirée. Malheureusement pour elle, Juliet a beaucoup trop bu, et elle s'en rend compte lorsqu'Alan la rattrape, et qu'elle se retrouve si près de lui qu'elle peut clairement sentir son souffle sur son visage. Elle n'a même pas le temps de répondre à la réflexion de son ex-mari qu'il fond sur elle pour l'embrasser. Pendant une demi-seconde, Juliet reste interdite, ne sachant pas ce qu'elle doit ressentir, et surtout, si elle doit se montrer responsable et le repousser. La seconde qui suit, elle se laisse finalement complètement aller, et participe même activement au baiser. S'il n'y avait pas eu cette grossesse aussi tôt, ils seraient peut-être encore ensemble, et toute leur vie serait différente aujourd'hui. Juliet travaillerait peut-être en collaboration avec Alan, dans un cabinet rassemblant plusieurs psychologues. Elle aurait peut-être bien voulu être mère, en sentant cette envie prendre possession d'elle tout naturellement et au bon moment, sans pression aucune... Ce flot de pensées la traverse, si bien qu'elle ne se concentre quasiment pas sur ce qu'il se passe entre elle et Alan. Lorsqu'il se détache d'elle, Juliet reste un instant coite. Elle regarde son verre de vin, puis la chaîne hi-fi à l'autre bout du salon, et enfin Alan. Ses yeux plantés dans les siens, et fortement influencée par l'alcool, Juliet sent un implacable désir s'emparer d'elle. A son tour, elle fond sur Alan, et attrapant le col de sa chemise, le tire jusqu'à sa chambre sans cesser de l'embrasser.
[...]
Une sonnerie de téléphone sort Juliet de son sommeil, bien trop brusquement à son goût. Elle relève son buste du matelas et se retrouve en position assise, le regard embrumé, cherchant d'où pourrait bien venir ce son. Il ne s'agit pas de son téléphone, étant donné qu'il demeure calme et silencieux, sur la table de nuit. Juliet tourne son alors son visage, et tombe nez-à-nez avec le dos nu d'Alan, couché dans le lit à côté d'elle. Un regard sur son propre corps lui indique qu'elle est porte exactement le même vêtement, celui que constitue sa peau seule. "Merde..." murmure-t-elle d'une voix rauque. "Eh... Ton téléphone sonne quelque part dans la chambre..." avertit Juliet en secouant quelque peu l'épaule de son ex-mari, avant de se laisser mollement retomber sur le matelas, mains sur le front.

Avant même d’ouvrir les yeux, Alan ressentit d’abord une douleur blanche, lancinante, désagréable au possible. Il avait l’impression de flotter entre deux eaux, dans des draps frais dont la température contrastait avec la chaleur de son front, comme s’il était fiévreux. Puis, il entendit enfin ce qui l’avait réveillé brusquement, alors qu’il était en plein rêve. Une sonnerie de téléphone, mais pas n’importe quelle sonnerie. C’était celle qu’il avait choisie avec Tess pour reconnaître immédiatement quand c’était sa fille qui l’appelait. Dans le même temps, il se sentait secoué, et son estomac n’appréciait pas trop la manoeuvre. Puis, il comprit où il était, ce qu’il s’était passé, pourquoi il entendait son téléphone sonner. Il se souvint. D’un bond, il se redressa dans le lit, avant de regretter immédiatement son mouvement. La terre tourna, l’espace de quelques secondes, avant qu’il ne retrouve l’équilibre, alors même qu’il était assis. Il jeta un coup d’oeil autour de lui pour constater qu’il n’avait pas rêvé, finalement. Ce qu’il pensait être un rêve était finalement ce qu’il avait vécu dans son ivresse de la nuit. Il était dans le lit de Juliet, il y avait des vêtements partout par terre, arrachés dans l’empressement, et surtout, leurs deux corps nus ne laissaient pas vraiment de questionnement sur ce qui avait pu se passer entre eux. Les souvenirs affluaient petit à petit devant ses yeux, et il se sentit mortifié. Non pas parce qu’il regrettait quoi que ce soit, mais parce que ça ne faisait quand même pas vraiment de coucher avec son ex-femme, quand bien même il l’avait fait des centaines de fois déjà, lorsqu’ils s’aimaient encore. Et puis… ce n’était pas l’unique raison, mais il refusait d’y penser dans cet état. La sonnerie du téléphone se coupa brusquement, les laissant respirer un peu, retrouver leurs esprits. Juliet semblait aussi mal que lui. La gueule de bois aidant, mais pas que. « Putain de merde… » marmonna Alan en essayant de sortir du lit, avant que son téléphone ne se remette à sonner et qu’il ne comprenne que sa fille devait s’inquiéter de ne pas le voir à la maison. Dans quel état pouvait-elle être ? Alan se leva en quatrième vitesse avant d’enfiler son caleçon et de fouiller dans son pantalon pour retrouver son téléphone, qui avait encore un peu de batterie par miracle. « Allô Tess ? Tu vas bien, chérie ? » Il frappa son front de sa main, honteux de lui répondre d’une façon aussi légère. Il lui avait promis qu’il rentrerait, qu’il serait là pour la nuit. Elle allait lui en vouloir. Surtout si elle apprenait où il se trouvait. « Excuse-moi ma puce, je sais que j’avais dit que je rentrerais… » La conversation était entrecoupée de sanglots de soulagement et de reproches de la part de Tess. « Mais j’avais beaucoup bu et… enfin… c’était pas prudent que je rentre. » Des mensonges, rien de plus. On était à Donwell ici, tout se faisait pratiquement à pied, quand on vivait dans le centre-ville. Il sentait le sang affluer dans sa boîte crânienne, frappant sans relâche contre son front. Le mal de tête qu’il allait se taper toute la journée lui faisait déjà peur. « Ecoute, je… Je ne vais pas tarder, promis. Je suis désolé Tessie, calme toi… A tout à l’heure… » Le brun raccrocha, encore plus mortifié qu’avant, et se retourna vers Juliet, toujours allongée, avec la tête de celle qui regrette. « Ju, je dois… il faut que j’y aille. » Il attrapa tout le reste de ses vêtements au fur et à mesure qu’il arpentait la pièce et commença à se rhabiller. « Tu veux que je te ramène une aspirine ? Je… Je peux faire quelque chose ? » Alan n’arrivait pas à imaginer ce que Juliet pouvait ressentir. Est-ce qu’elle s’en voulait autant que lui ? Est-ce qu’ils allaient oublier que tout cela avait eu lieu ? Est-ce que cette nuit marquait la fin de tout ce qui pourrait potentiellement leur arriver de bien dans le futur ? Voudrait-elle encore le voir après tout cela ? Il se souvenait bien que c’était lui qui avait commencé à l’embrasser, mais se souvenait-elle de tout, comme lui ?