Rien changeait jamais ici. C'était les mêmes têtes, les mêmes tâches, et le tout finissait par se mélanger, encore et encore, rien changeait vraiment, et pourtant... Pourtant de temps en temps y'avait des nouveautés, certains arrivaient quand d'autres partaient. C'était un bal qui ne s'arrêtait jamais. Il pouvait donner des maux de têtes à qui n'était pas prêt. Moi je me faisais observateur. J'étais né ici, j'avais fais ma vie ici, c'était pas vraiment le plan de carrière de ouf, mais je vivais assez bien. Aujourd'hui j'avais une livraison à honorer. Quelque chose qu'on m'avait commandé il y a un mois. C'était un client régulier. J'avais chargé la camionnette et la remorque direction le port.
J'avais beau dire que rien changeait... C'était faux. J'avais vécu toute ma vie dans l'ombre de mon frère jumeau. Moi j'étais celui qui parle pas, qui reste dans son coin. Celui qui intéresse pas. Et pourtant, j'avais l'impression de m'en être enfin décroché. J'avais mon propre cercle d'amis. J'avais finis par trouver des gens qui traînaient avec moi, pas juste parce que j'étais le frère de Barrow. Et ça... ça faisait du bien bordel. J'étais enfin libre de prendre la place que je voulais, que je pouvais, et je pouvais m'épanouir. J'étais arrivé, garant ma camionnette comme je pouvais, au plus près du bâtiment, descendant de mon véhicule, juste à temps pour sentir ma poche vibrer, dégainant mon téléphone pour lire le message, un sourire pétillant tordant mes lèvres. Je l'avais remballé pour entrer à la recherche du vieux.
"M'sieur Fairbairn ? Vous êtes là ? J'ai votre commande."
J'avais traversé le hangar à la recherche d'une âme qui vive. Avant de finalement tomber sur quelqu'un, de dos.
"S'cusez, vous auriez pas vu monsieur Fairbairn ? J'ai une livraison pour lui."
C'était pas une silhouette que j'avais l'habitude de voir, j'savais pas qui c'était, mais si il était là c'était qu'il y avait bien une raison. Il se retournait déjà vers moi, et sa bouille me sembla familière. Trop familière pour que ce soit une coïncidence ou une impression de déjà-vu. Je plissais un instant les yeux, farfouillant dans ma mémoire.
Ronan passait une matinée assez exécrable. Déjà, il avait raté son réveil et son grand frère lui avait passé un savon lorsqu'il était arrivé en retard. Il n'avait plus seize ans, son frangin n'avait pas à lui dicter comment vivre sa vie. Déjà que le cadet n'avait vraiment envie d'être là, le reste de la famille Fairbairn ne faisait rien pour rendre son séjour plus agréable non plus. Ensuite, Ronan avait décidé de se mettre au courant de l'état des comptes de l'entreprise. Grossière erreur. Il avait demandé à la secrétaire quel logiciel ils utilisaient pour superviser les chiffres. Elle avait eu un sourire qui mêlait amusement avec un peu de pitié, que Ronan n'apprécia absolument pas, avant de lui remettre une pile de cahiers aux pages cornées et tachetées de café. Bien sûr. Son idiot de père détestait la technologie, Ronan s'était senti idiot d'avoir cru un instant que son paternel aurait approché un ordinateur de son plein gré.
Il s'était donc installé à l'ancien bureau de son père et s'était mis à essayer de déchiffrer son écriture en pattes de mouches. Parce que sinon cela aurait été trop facile, pas vrai? Il se demanda s'il avait vraiment envie de se donner autant de mal pour cette affaire. Ne serait-ce pas plus facile de redonner les parts à ses frères et retourner à son confort londonien? Certainement. Mais il en avait marre de partir la queue entre les jambes. Il voulait montrer à cette ville qu'il en avait sous le capot et qu'il savait gérer un business. Et surtout, il n'avait pas vraiment envie de tirer une croix sur une source de revenus supplémentaire. En bon banquier, Ronan ne perdait pas de vue le plus important: l'argent.
Le bureau de son père était situé au fond du hangar, au plus près de l'action. Aussi, Ronan entendit bientôt quelqu'un appeler son nom. Il arqua un sourcil, tendit l'oreille. Vu que la personne appellait quelqu'un du nom de Fairbairn, il n'était peut-être pas le destinataire de la requête. Mais puisque personne ne semblait répondre à ses appels, Ronan s'extirpa de son bureau et sortit dans le hangar pour voir ce que fabriquaient ses frères. Ce fut à se moment là que l'homme s'adressa à lui. Le brun se retourna.
" Oui, bonjour, je... "
Ronan s'arrêta net, fronça les sourcils en même temps que son nouvel interlocuteur. Lui semblait avoir reconnu Ronan.
" Oui, c'est bien moi, mais vous êtes ... ? "
Pour le londonien, le processus fut un peu plus long. Il fallait dire qu'il avait tellement essayé de mettre Donwell derrière lui qu'il avait un peu recalé ses souvenirs dans un coin retranché de sa mémoire. Il finit tout de même par recoller les morceaux. Il avait retrouvé dans le regard de cet homme quelque chose qui lui rappelait son enfance. Il eut un sourire embarrassé.
" Blaine. Désolé, ça fait un bail, je ne t'avais pas reconnu. "
Il espéra ne pas s'être trompé de jumeau. Il aurait tout gagné ce jour-là. Il se retrouva un peu embêté, ne sachant pas trop quoi lui dire. Blaine avait beaucoup changé en vingt ans. Surement que Ronan aussi.
" Tu travailles pour mon père? " demanda-t-il alors. Il se rendit compte qu'il n'avait pas utilisé le passé. Mais quelque part, le père Fairbairn faisait partie des murs et il était présent un peu partout en ces lieux, même s'il n'était plus là physiquement.
Le temps passait... Les gens changeaient. Les enfants quittaient le bercail pour aller s'épanouir ailleurs. Fonder leur propre vie, certains allaient plus loin que d'autres, moi comme un con, j'avais juste traversé la rue. J'étais pas parti bien loin, parfois j'me dis que j'aurais peut être dû. J'aurais été quitte de me coltiner ma mère et mon frère sur le dos régulièrement. D'autres parvenaient à s'enfuir mais finissaient inlassablement par revenir. C'était le cas de Caleb, ça semblait être le cas de Ronan. Au final... On était un peu tous logés à la même enseigne. Le gars en face mit du temps à me reconnaître, par chance, c'est mon nom qui sortit et pas celui de mon frère. Je hochais la tête, bingo.
"Ouep c'est moi, t'inquiète pas. Les années ça épargne personne y paraît. Pas même moi." Et ça c'était une triste réalité. Mais bon l'heure n'était pas à la triste mine ou je sais pas quoi. Je cherchais le paternel de Ronan et j'le trouvais pas en attendant, j'avais du bois à lui livrer (cela dit j'étais heureux de revoir une vieille connaissance. A l'époque, je parlais peu et j'étais toujours caché derrière mon frère, c'était plus tout à fait la même chose. J'étais pas doué avec les gens, ça c'était toujours une réalité ! mais j'avais plus d’aplomb quand même !
"J'suis menuisier, à mon compte, de temps en temps ton père me passe une petite commande. ça arrivait de plus en plus rarement ces dernières années. J'suis venu livrer les pièces qu'il a commandé." D'habitude on avait jamais trop le temps de se balader dans sa p'tite entreprise qu'il nous avait vu arriver et qu'il débarquait le vieux, manifestement il était pas là, ou occupé.
"Tu fais quoi de beau toi maintenant ? J'en étais resté à un truc dans le domaine de la finance de ce qu'en disait tes frères." Je hausse les épaules, un sourire timide sur le visage. "Tu es là pour longtemps ?" La dernière fois qu'on s'était vu, j'étais en pleine phase de rébellion, le p'tit gars qui vivait dans l'ombre de son frère en avait eu marre et il avait sortit la crête, le blouson en cuir et les t-shirts de groupes de rock. J'étais fier de mon look à l'époque, et hormis la crête, c'était globalement toujours le même style que je me traînais. Je passais une main pensive sur mon menton. "Ici y'a pas grand chose qui change... C'est un peu comme si le temps était figé dans d'la jelly. Parfois c'est chiant comme la mort, et parfois c'est vachement reposant."
Ronan allait croiser beaucoup de personnes de son passé, il allait devoir s'y faire. Ca n'en était pas moins déstabilisant. Retrouver des visages qu'il avait connus gamins, joufflus, désormais érodés par le temps lui rappelait un peu sa propre mortalité. Ce n'était pas un sentiment agréable pour le cadet Fairbairn, surtout si proche de la disparition de son père. Il avait beau faire comme si tout cela ne l'atteignait pas, quelque part, ça ruminait dans sa tête. Il eut un léger rire à la remarque de Blaine, qui étrangement rejoignait les pensées qui se formaient dans l'esprit du brun.
" J'ai arrêté de compter à partir de 28 ans, c'est plus facile de se voiler la face. "
Ronan était vraiment curieux de savoir ce qui amenait Blaine à travailler avec son père. Apparemment, il avait monté sa propre affaire. Pas mal du tout.
"Tu as monté ta propre boîte? C'est cool ça." C'était une envie que Ronan avait toujours eue: devenir son propre patron. Avec Fairbairn & Sons, cela serait presque possible, son père lui ayant offert l'opportunité sur un plateau d'argent, même si pour l'instant cela ressemblait plus à une malédiction. Le cadet Fairbairn sentit un léger pincement au cœur en se rendant compte que personne n'avait du dire à Blaine que son père n'était plus de ce monde. Il avait l'air d'apprécier son paternel. Ce n'était peut-être pas le moment de lui annoncer sa disparition. Il fallait attendre l'ouverture, le moment de flottement. Ronan préféra laisser libre court à la conversation encore un peu, apprécier le moment de légèreté, reculer pour mieux sauter.
" Oui je suis cadre dans une banque à Londres, on a pas le temps de s'ennuyer. "
Le calme de Donwell le mettait encore mal à l'aise. Lui qui n'avait jamais eu pour habitude d'appuyer sur le bouton pause, ici tout semblait tourner au ralenti. Les gens prenaient le temps. Un concept qui lui était devenu étranger. Le mouvement constant de la capitale lui permettait d'ignorer tout ce qui pouvait bien se passer dans sa caboche. Donwell le mettait devant le fait accompli sans aucun échappatoire. Blaine lui demanda combien de temps il comptait rester là. Il haussa les épaules.
" Quelques jours? Quelques semaines? Honnêtement, je n'en sais rien. J'ai plein de trucs à régler. C'est compliqué. "
Tout dépendait de la capacité des trois frères à s'entendre, de la capacité de Ronan à faire ses preuves. Il avait du pain sur la planche s'il espérait rentrer dans les sabots de son père. Et il n'avait même pas envie de penser au deuil, parce qu'il n'avait pas envie de perdre du temps à être triste pour ce père qui n'avait pas été présent pour lui.
" C'est vrai que c'est calme par ici... comparé à Londres. "
Il sentit le flottement attendu arriver. Il était temps de mettre des mots sur ce qu'il se tramait vraiment. Il ne pouvait pas le laisser dans le flou.
"Mes frères ne t'ont rien dit? Papa est ... Il avait attrapé un cancer il y a quelques mois, mais il a pas du t'en parler, c'est pas son genre. Et c'est le cancer qui a gagné, cette fois. "
Pourtant le père Fairbairn était un homme borné, comme Ronan, et le brun était persuadé qu'il aurait même tenu tête à la mort. Il fronça les sourcils, baissa les yeux, glissa les mains dans les poches de sa veste et écarta une chute de bois par terre du revers de la chaussure.
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Blaine Wood
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Sujet: Re: Well, hello there... (Ronan & Blaine) Jeu 18 Mar - 16:06
Well, hello there...
Ronan + Blaine
I'm back y'all did you miss me ?
Je passe une main sur mon menton, fourrageant ma barbe. L'enfance laisse place à la vie d'adulte, et ce qui n'était que jeu et amusement devient pression sociale. Le tic tac de l'horloge biologique se met en branle. La famille fait pression. La situation stable... Je l'avais, et j'avais loupé le coche pour partir. J'avais donc une mère beaucoup trop envahissante sur le dos. "Quand est-ce que tu vas te marier ? Et des petits enfants, je vais en avoir quand ?" Quand je lui répondais qu'avec mon frère, elle avait déjà ce qu'il fallait, elle ne voulait rien entendre, se morfondait... Elle m'avait fait quelques petits coups en traitre. Des rendez-vous arrangés. Un éclat de rire se fait entendre, le mien, alors qu'il parle de son âge. Il était plus jeune que moi, mais quand on traînait avec un Fairbairn on apprenait aussi à connaître ses frères.
"Tu as raison... La solution, c'est de rester jeune dans sa tête. On s'use moins vite il paraît."
Y'avait d'autres facteurs. Mais j'me rappelais de mon père comme d'un mec vieux. Il nous avait eu tôt, il avait la vingtaine à peine. Mais il avait toujours eu l'air sévère, usé, l'alcool avait finit par marquer son visage à une vitesse ahurissante. Fallait faire gaffe avec cette saloperie. J'oubliais jamais. C'était un des trucs qui l'avait emporté, j'avais jamais eu la certitude que ça avait joué, mais au fond de moi j'en étais sûr. La conversation s'enchaîne. On parle de tout, de rien... Avec un certain naturel. Chose qui n'est pas tout à fait habituel pour moi. J'ai toujours quelque chose qui me bloque, qui m'empêche de communiquer sereinement avec quelqu'un mais peut être que cette fois c'est différent parce que nous avions grandis ensemble ? Je hoche la tête.
"Ouep, je roule pas sur l'or mais j'ai de quoi vivre correctement. Je pense que si je voulais vraiment me lancer, faudrait que je quitte Donwell. Et encore... mais ouais être son patron, ça a des avantages, c'est moins stressant déjà."
J'aurais pu le faire... Beaucoup trop souvent, mais je m'en étais toujours empêcher. Je voulais pas quitter mes parents, j'voulais les aider, puis ma mère s'était retrouvée toute seule, et ce sentiment de devoir l'aider était devenu encore plus pressent... Les années étaient passées, avec elles la possibilité de partir s'était éloignée, encore et encore, jusqu'à n'être une envie lointaine. Beaucoup trop lointaine pour être réalisable. Il me parle de ce qu'il fait, et un sourire amusé fleurit sur mes lèvres.
"Londres hein ? Effectivement... Tout doit aller si vite."
Le mouvement, la vie, le chaos, c'était loin de Donwell et de ses petits jardins à l'anglaise, bien ordonné, de ces petites rues, de ces âmes qui vivaient là depuis tellement longtemps qu'ils faisaient partis des murs, ce petit vieux qui était déjà vieux quand moi j'étais jeune, cet autre gamin qui n'était jamais vraiment parti découvrir le pays. Cette mère de famille là, qui s'était enlisée dans son quotidien. C'était paradoxal comment c'était rassurant d'un côté, et terrifiant de l'autre. Je hausse les épaules. J'savais pas ce qui le retenait ici, et c'était pas franchement mes affaires, j'étais pas du genre commère, parfois on me confiait des choses, et j'les gardais pour moi, vous voulez que je foute quoi de toutes ces informations moi ? Franchement ?
"Si tu es emmené à rester plus longtemps et que tu veux passer à la maison, faut pas hésiter. Que ce soit pour un café ou pour autre chose hein..."
Et finalement... Y'a une info qu'il finit par lâcher, et qui me heurte avec violence. Ou du moins c'est l'impression que ça me fais. C'est le genre de nouvelles qui te rappelle que t'es pas immortel, et que la mort ça fauche tout le monde un jour ou l'autre, même quand t'es le père Fairbairn et que t'as l'air solide comme un roc à la base. Je le regarde, éberlué un moment, jusqu'à ce que l'information grimpe au cerveau.
"Oh..." Un temps encore, pour retrouver les mots d'usages, ces mots sans saveurs. Toutes mes condoléances, c'est ce qu'on est sensé dire à la famille. Mais... On les lance sans les penser. "Je suis désolé, ta mère tient le choc ? Et toi ? Non... Tes frères m'ont rien dit. Faut dire que je vis un peu dans ma petite bulle... Bah ça alors..." Je passe une main sur ma nuque, poussant un petit soupir. "Beh merde alors... ça fait un choc tout ça..."
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Sujet: Well, hello there... (Ronan & Blaine) 
