when do we want it? now! (aubrey)

Aubrey avança dans la foule tout en vérifiant son portable. Il y a quelques années encore, elle aurait été en tête du cortège à s’époumoner en criant les slogans de la manif, mais aujourd’hui elle avait plus de responsabilités. Si elle mettait toujours un point d’honneur à assister aux manifestations, particulièrement celles sur les sujets qui la touchaient personnellement, elle ne pouvait plus autant s’investir. En tant que maire elle ne pouvait plus se permettre de participer à des manifestations trop polémiques, mais elle ne manquait  aucune marche pour les droits des animaux. Elle avait de toute façon emmerdé trop de gens à la mairie sur la question pour pouvoir cacher sa sympathie pour la cause. Manif ou non, tout le monde connaissait son opinion sur le sujet. Elle aperçut une notification venant de son assistante et elle ouvrit l’email d’une main tout en levant le second bras au ciel pour imiter les manifestants autour d’elle. Après avoir répondu à cet email et à quelques sms de son bureau, elle rangea finalement son téléphone dans la poche de son pantalon et leva les yeux vers le reste de la foule. C’est alors qu’elle aperçut Matilda quelques mètres plus loin, une pancarte brandie. Elle ne put pas s’empêcher de sourire avant de crier le nom de sa nièce pour attirer son attention. Malgré le brouhaha de la manifestation, sa voix porta assez pour que Matilda l’entende, et elle l’aperçut se frayer un chemin parmi la foule. Elle lui tendit un large sourire, malgré un léger pincement au cœur. Elle était heureuse de voir une autre activiste dans la famille, même si elle aurait préféré qu’il s’agisse de sa propre fille. Ou même de sa femme. Mais Aubrey avait appris à se rendre à ces manifestations seules. ”Je ne pensais pas que tu voudrais sacrifier ton samedi.” Aubrey l’attrapa par les épaules pour l’embrasser sur la joue. Elle était fière de sa nièce, c’était sans doute la personne de la famille dont elle se sentait le plus proche en termes de convictions politiques. Mais si Aubrey se disait parfois qu’elle s’entendait mieux avec sa nièce qu’avec sa propre fille, elle se forçait à chasser cette idée assez vite pour faire comme si elle ne lui était jamais venue. Peu d’adolescentes auraient accepté de passer leur weekend dans les rues de Brighton à se battre pour une cause qui n’impactait pas directement leur propre liberté, Aubrey en savait quelque chose. Elle se voyait parfois en Matilda, plus qu’elle n’aurait aimé l’admettre. Elle entendit quelqu’un grogner en les dépassant et Aubrey lui lança un regard noir au passage. Elle se pencha en avant pour tenter de déchiffrer la pancarte de sa nièce, presque jalouse de ne pas avoir pris le temps d’en apporter une elle-même. ”Qu’est-ce que tu as écrit sur ta pancarte ?” À une époque, Aubrey avait adoré fabriquer des pancartes pour les manifestations, trouver des slogans, et elle était persuadée que si elle en avait encore le temps aujourd’hui elle y prendrait toujours beaucoup de plaisir. Malheureusement sa carrière et sa vie de famille lui laissaient peu de temps pour ce genre d’activités.

Aubrey hocha la tête, un petit sourire aux lèvres en entendant le slogan écrit sur la pancarte de sa nièce. Elle avait reconnu la phrase avant que Matilda ne lui explique où elle l’avait trouvée, elle l’avait souvent vu sur d’autres pancartes, ou même sur des sites de soutien à la cause animale. ”Tu as bien fait.” la rassura-t-elle avec un petit sourire. Elle ne pouvait pas lui reprocher de ne pas avoir inventé son propre slogan quand elle n’avait elle-même pas pris le temps d’amener de pancarte du tout. Et puis après tout c’était plutôt une bonne chose d’utiliser un slogan connu. Si quelqu’un le voyait et s’en souvenait, il tomberait directement sur des associations avec des ressources et des actions concrètes pour d’éventuels volontaires. Aubrey était en train d’observer la foule devant elles quand Matilda reprit la parole, la prenant un peu au dépourvu. Sa question était sans doute innocente, mais Aubrey ne put pas s’empêcher de noter la pointe d’hésitation dans sa voix. Elle était seule ici parce que personne n’avait voulu l’accompagner, et Matilda devait sans doute s’en être rendue compte. Mais malgré la légère rancoeur qu’elle pouvait ressentir face au manque de soutien de sa femme et de sa fille, elle n’avait aucune intention d’être entièrement honnête avec sa nièce sur la question. Ce n’était pas à elle de gérer ça, et elle ne voulait pas la mêler à ces histoires. Connaissant l’adolescente, elle aurait été capable de reprocher à sa cousine de ne pas être venue, et Aubrey savait que ça ne servirait à rien. ”Oh, elles sont débordées en ce moment, elles n’ont pas pu se libérer.” Les deux étaient sans doute posées bien tranquillement à la maison, dans le canapé ou devant leurs ordinateurs, et Aubrey se força à réprimer le soupçon d’amertume qu’elle ressentit à cette image. Elle ne pouvait pas leur en vouloir de ne pas être aussi engagées qu’elle, et de vouloir profiter de leur weekend pour se reposer. Aubrey ne fit pas l’erreur de demander à Matilda pourquoi elle n’était pas accompagnée non plus. Elle ne voulait pas lancer un sujet épineux et mettre sa nièce mal à l’aise. ”Mais rien de grave, j’ai ma meilleure adjointe avec moi !” Elle lui lança un clin d’oeil amusé avant de reprendre le slogan en coeur avec le reste de la foule. Don’t be a loser, stop the abuser. Elle adorait faire partie d’un groupe, voir que ces manifestations avaient pris tant d’ampleur dans les 20 dernières années. À l’époque de ses premières manifestations, il y avait à peine un quart de cette foule. Comme quoi les choses évoluaient, même lentement. ”En parlant d’adjointe, tu as déjà pensé à venir travailler avec moi à la mairie ?” Elle savait bien qu’une vie en politique ou dans des bureaux ne faisait pas rêver grand monde, surtout pas aujourd’hui, mais elle savait aussi que Matilda avait assez de jugeote et surtout assez d’empathie et de volonté pour pouvoir faire bouger les choses. Tout comme elle. ”Je pourrais t’aider à trouver un petit boulot si tu veux, comme ton frère. Enfin…” Elle rigola en se souvenant d’Arthur à la mairie. ”Pas tout à fait comme ton frère si possible.” Elle adorait son neveu, mais elle devait bien admettre qu’il n’avait pas fait l’employé le plus utile ni le plus professionnel au monde. Ses collègues en parlaient encore, mais elle savait aussi que Matilda serait sans doute tout l’inverse.

Aubrey fut soulagée de voir que Matilda accepta sa réponse sans chercher plus loin. Elle ne voulait pas que sa nièce imagine des problèmes dans son couple avec avery, même si Aubrey elle-même avait de plus en plus le sentiment qu’elles s’éloignaient. C’était sans doute pour cette raison qu’elle ne voulait justement pas que Matilda se pose des questions. Elle ne put pas retenir un léger sourire en entendant la réponse de la jeune blonde. Elle n’avait aucun doute que Matilda ferait un meilleur boulot que son frère, mais elle ne semblait pourtant pas intéressée. Aubrey fronça légèrement les sourcils en entendant sa réponse, prise au dépourvue. Elle n’avait pas pensé que sa nièce aimait particulièrement son boulot, et elle avait du mal à imaginer que qui que ce soit puisse laisser passer une chance de venir travailler à la mairie de Brighton. Avery avait beau lui dire que tout le monde ne rêvait pas de faire de la politique et de changer le monde, elle avait du mal à y croire. Elle se força à sourire pour ne pas laisser sa nièce voir sa déception, et elle fut reconnaissante de son réflexe en écoutant la suite. ”Mais c’est une super idée ça !” Matilda avait peut-être peur de quitter son boulot et de ne pas gagner autant à la mairie, mais en tout cas elle n’avait pas l’air d’être contre l’idée de travailler avec elle. Au contraire même. Elle était sur le point de lui dire qu’elle n’allait pas forcément avoir besoin d’aider, qu’elle pourrait simplement observer, quand des bruits un peu plus loin dans la foule attirèrent son attention. Matilda se pencha pour tenter de voir ce qu’il se passait, mais apparemment sans succès. Légèrement plus grande qu’elle, Aubrey se plaça sur la pointe des pieds et aperçut un groupe de jeunes, ivres, au milieu de la foule. Elle se tourna vers Matilda, soulagée. L’espace d’une seconde, elle avait eu peur que la manifestation ait dégénéré et que la police ait été obligée d’intervenir. Elle savait que ça faisait partie du risque des manifs, mais être seule dans ce genre de cas et devoir s’occuper de sa nièce étaient deux choses bien différentes. ”Des jeunes qui ont bu une ou deux pintes de trop.” expliqua-t-elle à Matilda, un sourire aux lèvres avant de se reprendre. ”Non pas que ce soit drôle.” Elle se força à adopter une attitude plus sévère sans réussir à se convaincre elle-même. Elle savait que c’était normal d’aller boire avec des amis quand on était jeunes, elle allait elle-même boire des verres avec ses collègues régulièrement. Elle se souvenait d’ailleurs un peu trop bien de sa dernière sortie, mais il valait mieux ne pas y penser maintenant. Préférant ne pas s’attarder sur le sujet des adolescents ivres un peu plus loin dans la foule, Aubrey reprit la conversation qu’ils avaient involontairement interrompu. ”Je suis sûre que tu pourrais trouver beaucoup de choses intéressantes à la mairie.” Aubrey reprit la marche lentement tout en gardant un œil sur les mouvements de la foule devant elles. Elle savait que Matilda était grande maintenant, mais elle se sentait quand même responsable. ”Tu as une idée de ce que tu aimerais faire plus tard ? Je pourrais te faire rencontrer des gens dans ce domaine.”

Aubrey se rendit compte instantanément que sa question avait mis sa nièce mal à l’aise, mais après tout elle aurait dû s’en douter. Aucun adolescent ne savait vraiment ce qu’il allait vouloir faire comme métier, à part elle-même bien sûr. Elle avait su ce qu’elle voulait faire très jeune, mais peu de gens avaient une véritable vocation, et surtout assez d’envie pour la réaliser. Elle était sur le point de dire à Matilda que ce n’était pas grave, et que justement son expérience à la mairie allait pouvoir l’aider à trouver des idées quand sa nièce la prit complètement par surprise. Elle s’arrêta dans ses pas, attirant quelques grognements du groupe derrière les deux femmes. Scénariste ou metteuse en scène ? Bien sur, Aubrey savait que sa nièce aimait les arts et le théâtre, mais elle n’avait pas imaginé qu’elle avait envie de se lancer dans le monde de la fiction professionnellement. Elle avait toujours imaginé que c’était plus un passe temps qu’autre chose, mais à priori elle avait moins en commun avec Matilda qu’elle ne le croyait. Bien sur, elle savait que tous les adolescents ne rêvaient pas de se lancer dans la politique — et ceux qui en avaient envie étaient souvent des petits merdeux — mais elle avait espéré que sa nièce ferait partie des exceptions. La surprise devait se lire clairement sur son visage car Matilda poursuivit pour expliquer qu’elle savait que ce n’était pas facile. Elle devait sans doute se dire qu’Aubrey trouvait son projet puérile, et pas assez raisonnable, mais ce n’était pas pour cette raison que la maire de Brighton avait été un peu surprise par sa réponse. Elle avait souvent vu Matilda comme une miniature d’elle, et elle était prise au dépourvue en se rendant compte qu’elles n’étaient pas si similaires que cela finalement. Elle attrapa le bras de Matilda doucement pour la forcer à la regarder dans les yeux. ”Une nouvelle vocation ? Pourquoi faire, tu veux abandonner avant d’avoir commencé ?” Elle lui lança un petit sourire avant de recommencer à marcher. Elle ne voulait pas mettre Matilda mal à l’aise en la fixant. Peut-être que la discussion serait moins intimidante pour elles deux si elles marchaient côte à côte. Il y avait une certaine poésie là-dedans. ”Si tu abandonnes aussi facilement, c’est sur que tu ne pourras pas y arriver, mais si ça te plaît vraiment, tu dois te laisser une chance. Essayer au moins.” Aubrey se demanda si elle aurait répondu la même chose à sa propre fille, mais elle savait bien que non. Il fallait aussi dire que Matilda et sa cousine ne se ressemblaient pas en terme de sérieux et de motivation. Sa propre fille passait sa journée dans sa chambre à trainer sur internet, à “liker” des photos, à ne rien faire en somme. Non, elle n’aurait sans doute pas répondu la même chose à sa fille, parce qu’elle savait que Matilda était assez autonome et mature pour prendre ce genre de décisions alors qu’elle devait se montrer plus ferme avec sa propre fille. Et puis après tout, c’était ça le rôle de tante, non ? ”Tu sais, personne ne pensait que je pourrais devenir Maire de Brighton non plus quand j’avais ton âge, et pourtant regarde où je suis.” Elle haussa les épaules tout en continuant à marcher. Matilda allait avoir besoin de ténacité, et Aubrey espérait qu’elle n’allait pas être trop sensible pour un monde aussi cruel, mais elle faisait confiance à sa nièce pour ne pas prendre ce genre de décision sur un coup de tête, sans y avoir bien réfléchi. ”Bon par contre, les scénaristes ce n’est pas ce qu’il y a de plus courant à la mairie, mais j’ai déjà rencontré quelques personnes du métier pour des permissions de tournage. Je peux toujours demander à mon secrétaire de regarder ce qu’on a comme contact.” Elle n’aimait pas faire du favoritisme, et elle refusait d’utiliser son influence en tant que maire pour sortir sa femme ou sa fille du pétrin, mais là c’était différent, en tout cas elle préférait le penser. Sa nièce avait de vraies ambitions, alors il n’y avait rien de mal à lui donner un petit coup de pouce.

Aubrey commença à sourire en entendant l’enthousiasme dans la voix de sa nièce. Elle s’était doutée que sa réponse lui ferait plaisir, mais elle ne s’était pas attendu à ce que Matilda soit immédiatement plus à l’aise. Elle l’observa presque sautiller de joie tout en continuant à avancer avec le reste des manifestants, et Aubrey se sentit presque fière d’avoir participé à son enthousiasme. Elle avait eu raison de penser que Matilda n’avait pas abordé le sujet comme ça, sans y avoir réfléchi, ça lui tenait visiblement beaucoup à coeur. Elle était en train de réfléchir aux contacts qu’elle pourrait trouver à sa nièce quand elle reprit la parole, la coupant dans son élan. En parler à Avery ? Logiquement elle comprenait la demande de sa nièce, mais elle ne pouvait pas s’empêcher de ressentir un pincement au cœur. Elle avait envie d’aider Matilda, et elle avait du mal à admettre que, dans ce cas précis, sa femme pourrait lui être plus utile. Elle se força à sourire avec un peu plus d’enthousiasme que ce qu’elle ressentait vraiment, par peur d’entamer la joie de Matilda. Elle hocha la tête en écoutant la jeune femme parler. “Elle devait aussi connaître des gens du milieu.” Aubrey apprécia l’effort de Matilda pour ne pas la vexer, mais elle devait bien admettre qu’Avery aurait sûrement beaucoup plus de contacts qu’elle, même si elle n’avait pas tourné depuis un moment. ”Oui, bien sur, je suis certaine qu’elle serait ravie de t’aider.” Aubrey lui lança un sourire qu’elle voulait rassurant tout en continuant à penser aux gens du métier qu’elle pourrait connaître de son côté. Elle n’avait pas envie d’en faire une compétition, mais elle ne pouvait pas s’en empêcher. C’était sans doute stupide, mais elle avait envie de montrer qu’elle pouvait aussi connaître du monde et aider sa nièce à se lancer. Tout en gardant une liste de contacts potentiels dans sa tête et en notant de les lister sur papier en rentrant, Aubrey se tourna vers Matilda. ”Et ta mère alors ? Tu as déjà essayé de lui en parler ?” Aubrey ne portait pas sa soeur dans son coeur, et leur relation avait toujours été tendue, mais elle savait aussi que Matilda pourrait apprécier d’en parler un peu. Aubrey pouvait se permettre d’éviter sa soeur, de passer plusieurs semaines sans la voir ou lui parler, mais Matilda, elle, ne le pouvait pas. Elle se doutait que la jeune femme n’avait pas osé en parler à sa mère, et elle ne pouvait pas la blamer, mais elle savait aussi que si l’adolescente était sérieuse, elle ne pourrait pas le lui cacher indéfiniment. Encore moins si Matilda commençait à rencontrer des gens du métier grâce à ses contacts. Et à ceux d’Avery. ”Elle n’aura sans doute pas autant de contacts qu’Avery, mais elle devrait le savoir si c’est quelque chose qui te tente vraiment.” Encore une fois, elle ignora le petit pincement dans son ventre à l’idée que sa femme puisse être plus utile qu’elle. Elle allait bien finir par se faire à l’idée.

Aubrey détourna le regard pour masquer l’amusement sur son visage à l’imitation de Matilda. Elle n’avait pas envie de l’encourager à manquer de respect à sa mère, mais elle devait aussi admettre que l’imitation de sa nièce était très proche de la réalité. Aubrey devrait être la mère responsable à la maison, et ça lui faisait aussi du bien de pouvoir se placer du côté de l’adolescente qui se rebellait contre sa mère, d’autant plus que Matilda avait toutes les raisons de le faire, contrairement à sa propre fille. Et pourtant, quoi qu’elle puisse penser de sa soeur, elle ne pouvait pas se permettre de le montrer à Matilda. C’était une chose de se rebeller contre sa mère et de commencer à se démarquer d’elle en grandissant, mais c’en était une autre de penser que c’était normal de lui manquer de respect parce que sa propre tante l’y encourageait. Alors quand Aubrey se tourna de nouveau vers sa nièce, elle se força à prendre un air un peu sévère avant de lui faire remarquer qu’elle allait bien devoir lui dire à un moment ou à un autre. Aubrey ne put pas s’empêcher de sourire en entendant sa réponse. De toute évidence, Matilda n’était pas enchantée à l’idée, et Aubrey ne pouvait pas la blamer, mais ça ne servait à rien de prétendre qu’elle allait pouvoir lui cacher ça pendant longtemps. Pas si elle était vraiment sérieuse en tout cas. Elle hocha doucement la tête en écoutant sa nièce parler, lui raconter que sa mère ne comprendrait jamais, qu’elle pensait sans doute que sa fille n’avait pas assez de talent pour réussir et elle s’arrêta brusquement pour attraper le bras de Matilda. ”Ne dis pas ça, vous avez juste fait des choix différents.” Elle n’avait pas pour habitude de défendre sa soeur, et Dieu savait qu’elle avait des opinions divergentes sur à peu près tous les sujets, mais elle ne pouvait pas laisser sa nièce aller aussi loin dans ses paroles, même si elle était secrètement plutôt d’accord avec elle. En féministe convaincue, elle n’avait jamais réussi à comprendre l’obsession de sa soeur avec l’idée de trouver un mari pour la soutenir, mais elle n’avait jamais réussi à la faire changer d’avis. Pour autant, elle n’avait pas envie que Matilda arrive à un point où elle ne pouvait plus du tout respecter sa mère. ”Je suis certaine qu’elle finirait par comprendre en voyant que tu es motivée.” Elle savait que ça prendrait surement du temps, et que sa soeur ne serait sans doute pas aussi raisonnable que Matilda pouvait l’espérer, mais elle savait aussi qu’elle serait elle-même là pour apaiser la situation. Pour essayer en tout cas. Elle regrettait d’avoir abordé le sujet de sa soeur vu l’état dans lequel ça mettait Matilda, mais elle ne pouvait plus vraiment changer de sujet. Pas naturellement en tout cas. ”Mais si elle pense vraiment que tu n’es pas assez bonne pour réussir, ce sera à toi de lui montrer qu’elle se trompe.” Elle lui lança un sourire qu’elle espérait encourageant. Elle savait qu’il serait préférable que sa soeur ne s’oppose pas au choix de sa fille, que ça ne ferait que créer de la tension entre elles, une tension potentiellement indélébile, mais elle savait aussi que Matilda avait des raisons d’anticiper une mauvaise réaction de la part de sa mère. Aubrey devait admettre qu’elle était elle-même plutôt pessimiste quant à la réaction de sa soeur, mais il valait mieux ne pas miner sa nièce avant même qu’elle n’ait pu essayer. ”Et puis, quoi que ta mère puisse dire, tu ne seras pas seule.”