June Gallagher + Little Bird

+ J’adore les chevaux. Quand j’étais petite, je pratiquais l’équitation western que m’enseignait mon père, lui-même l’ayant apprit de son père avant lui et ainsi de suite. Nous avions un ranch car mes parents faisaient de l’élevage de chevaux et de bovins. Quand j’y repense, c’était sans doute l’une des plus belles et des plus heureuses périodes de ma vie.

+ Je suis fan de musique country. J’ai grandi en écoutant les vieux disques de mes parents. Hank Williams passait souvent sur le vieux tourne-disque de mes grands-parents. Mon père adorait Johnny Cash et ma mère était fan de Dolly Parton. C’est d’ailleurs en référence à l’une de ses chansons qu’elle m’a nommé « Jolene ». C’est mon vrai prénom. June…Je ne l’ai choisi que bien des années plus tard pour rappeler June Carter, la femme que Johnny Cash aimait tant, ce dernier étant LA référence musicale de mon père.

+ J’étais bonne élève, j’avais de bonnes notes. Plutôt discrète et studieuse – oui la petite fille blonde avec des nattes, c’était moi ! – je n’étais pourtant pas très populaire jusqu’à ce que j’intègre l’équipe de Cheerleaders de mon lycée. Là, bizarrement, on a commencé à faire attention à moi et c’est là que j’ai pris goût à la scène.

+ Après le lycée et l’université, je travaillais dans une petite boutique de prêt-à-porter féminin du centre-ville de Dalla (oui je n’ai jamais mis les pieds en-dehors du Texas pendant de nombreuses années). En fin de journée, j’aidais mes parents au ranch et, les week-ends, je me produisais avec mon petit groupe de country dans certains bars et pubs de l’Etat. On commençait à se faire un petit nom, avec nos chansons à nous et nos reprises des grands noms de cette musique. Et puis il y a eu ce soir-là, où IL a posé les yeux sur moi.

+ Je tiens mon don pour faire des pâtisseries de ma mère et de ma grand-mère. J’ai pu garder avec moi les vieux livres de recettes de cette dernière. Vu ce qu’est devenu ma vie, je les chéris comme le plus précieux de mes trésors.

+ J’ai eu plusieurs « vies » dans ma vie. D’abord banale et normale, ma vie a soudain viré aux fastes et au luxe après SA rencontre, puis aux coups et aux équimoses sous ses mains qui avaient pourtant toujours été si douces envers moi. Un jour, il a osé lever la main sur notre fille. Je me suis interposée, j’ai faillit mourir. Puis j’ai été protégée, j’ai dû témoigner et même fuir pour démarrer une nouvelle vie. Je souffre énormément d’imposer tout ça à ma Bess…

+ Nous avons un chat, qu’on a adopté dans un refuge pour donner un autre visage plus confortable à notre appartement. Nous l’avons appelé Cash parce qu’il est tout noir et que Johnny Cash était connu pour ne s’habiller qu’en noir quand il était sur scène.

+ Je prends des cours à distance de pâtisserie française. J’ai toujours voulu apprendre ces recettes-là. On dit que la gastronomie française est la meilleure du monde. Maintenant que j’ai ma propre pâtisserie, il est temps que je m’y mette !

+ Je suis très croyante et pratiquante. J’ai d’ailleurs constamment autour de mon cou un pendentif avec un crucifix en or jaune ayant appartenu à ma grand-mère. Avec mes parents, nous allions toujours à la messe du dimanche et à chaque office des grandes fêtes. Pâques, Noël…C’était notre sortie. J’ai inculqué cela à ma fille, même si je dois la traîner pour qu’on y aille chaque dimanche ! Mais je ne lui en veux pas ; j’étais comme elle, à son âge.

Je rédige ces mots  devant les Agents Spéciaux Spade et Malone. Aujourd’hui, j’entre officiellement sous la protection du Bureau Fédéral d’Investigation de New-York, en tant que témoin à charge dans le procès pour trafic de drogues, multiples homicides et violences conjugales commis par mon ex-mari, Jack Underwood, chef d’un grand réseau de trafic de drogues en provenance d’Amérique du Sud sur le territoire Nord-Américain.

J’ai rencontré Jack le 4 Juillet 2000 à Dallas, au Texas. Je me souviens parfaitement de la date car c’était le jour de la fête de l’Indépendance et que je ne pourrais juste jamais oublier ma rencontre avec cet homme. Avec mon groupe de country, nous nous produisions sur scène et nous avons voulu faire monter quelqu’un pour chanter un duo avec moi. Je n’y voyais pas grand-chose avec toutes ces lumières braquées sur mon visage mais j’ai vu la silhouette d’un homme s’approcher de la scène et monter sans même qu’on ne le choisisse. Déjà ce jour-là, il s’était imposé à moi. Un peu abasourdie par son aplomb, j’ai finalement tourné mon regard vers lui et je suis littéralement tombée sous son charme. Il dégageait quelque chose d’intimidant, mais aussi de fort. Il n’était pas nécessairement beau à tomber mais son charisme, lui, était indéniable, tout comme son assurance. Il avait alors prit le micro que je lui tendais et avait dit à la foule : « Désolé les gars, mais j’peux pas vous la laisser. Cet ange-là est à moi. » Je crois que j’ai dû rire, plaquée mes mains sur mon visage et rougir si fort que cela en est devenu gênant pour tout le monde et surtout pour moi. J’ai finalement retrouvé mes esprits et nous avons chanté ensemble « Jackson », le célèbre duo de June Carter et de Johnny Cash. A la fin de la chanson, il est redescendu après m’avoir baisé la main droite et je me suis dit qu’il avait juste trop bu – comme beaucoup d’autres ce soir-là – et que je ne le reverrais plus. Mais il m’attendait prêt de notre petite camionnette, bras croisés et une jambe relevée vers l’arrière, pied posé contre la carrosserie du véhicule. « Désolé si je t’ai fait peur », m’avait-il dit. « Mais je le pensais vraiment. Je n’voulais pas que quiconque d’autre que moi chante avec toi ce soir. » J’avais mis mes mains sur mes hanches et je lui ai répondu : « On me l’avait jamais fait avant celle-là ! ». Il avait décroisé ses bras et s’était approché de moi. Son regard était si intense que, malgré moi, je baissais les yeux et contemplais mes boots en cuir. « Parce qu’il y en a pas deux comme moi. ». Lentement, je relevais la tête, lui souriais timidement et tendis ma main droite : « Jolene Johnson », me présentais-je. Il glissa sa main droite dans la mienne et je sentis sa force lorsque ses doigts se resserrèrent autour de ma main : « Jack Underwood ». Je venais de me jeter, sans le savoir, dans la gueule du loup.

Pourtant, durant nos quatre premières années ensemble, je vivais l’idylle dont chaque jeune fille rêve. Il était si gentil, si charmant, si prévenant avec moi. J’étais sa « princesse », comme il m’appelait. A ses côtés, je me sentais plus forte et plus vivante que jamais et puis, mes parents l’adoraient ! Ma mère le trouvait très bel homme et me voir tout épanouie à son bras la rendait si heureuse. Quant à mon père, Jack était devenu un peu comme son fils. En 2004, lors de notre quatrième anniversaire célébrant notre rencontre, Jack me demanda en mariage et, bien sûr, j’acceptais. Comment aurais-je pu refuser. Je l’aimais, il était l’homme de ma vie et je nous voyais déjà vieux, ridés et fatigués assis sous le porche de notre maison coloniale, une citronnade à la main, à observer nos petits-enfants jouer dans l’herbe, un soir d’été. Nous nous sommes mariés l’année d’après, en mai 2005. J’abandonnais mon nom de jeune fille pour prendre le sien et devenais donc Jolene Underwood. Nous partîmes alors nous installer à Little Rock, dans l’Arkansas, l’Etat voisin. J’avoue ne jamais vraiment avoir interroger Jack au sujet de son métier. Tout ce qu’il m’avait dit, c’était qu’il était négociant dans des produits importés d’Amérique du Sud. A l’époque, j’étais naïve, n’avais d’yeux que pour lui et donc, je m’étais dit qu’il parlait certainement de café, de bois ou d’un minerai quelconque extrait dans les grandes carrières de ces pays. Je n’aurais jamais pensé qu’il s’agissait de drogues.

La première année de notre mariage se passa encore bien. Je donnais naissance à notre fille, Bess, pour rappeler le nom de la mère de Jack, mais je me morfondais souvent dans ma solitude. Jack était souvent en déplacement et, même si notre maison avait tout le confort – et même le luxe – dont n’importe quelle femme au foyer rêverait, je n’étais pas satisfaite. Peu à peu, mois après mois, années après années, Jack resserrait son emprise sur moi, sans même que je ne m’en aperçoive tant il faisait ça bien. Il commença par me dire que je n’avais plus besoin de travailler car il ramenait suffisamment d’argent pour nous deux et que, de son avis, la place d’une femme est à la maison. Bien sûr, je refusais ! Je voulais gagner ma vie, avoir mon propre argent, ne rien lui devoir ! Un jour, je me rendis à mon travail mais mon patron me renvoya chez moi, prétextant avoir reçu une lettre de démission de ma part alors que je n’avais rien envoyé. C’était Jack qui l’avait fait à ma place. Je rentrais chez moi, folle de colère. Il était là, à m’attendre tranquillement sur le canapé, un verre de whiskey à la main. « Tu n’avais pas le droit de faire ça ! » hurlais-je, hors de moi. « Comment as-tu… » Puis je fus projetée à terre, le souffle coupé, une main plaquée sur mon front. Il venait de me lancer son verre au visage avec une force telle que j’en fus comme sonnée. Puis il s’était approché, s’était accroupi au-dessus de moi, m’avait saisi par les cheveux et m’avait à moitié relevé : « La prochaine fois, tu feras ce que je te dis de faire. J’ai horreur de devoir faire les choses à la place des autres. » Puis il me relâcha avec une telle violence que l’arrière de mon crâne heurta le sol : « Mets-toi quelque chose sur le visage. On reçoit ce soir et je ne veux pas que mes invités te voient avec cette marque. » Il se leva et me laissa par terre.

Le début de mon calvaire commença. Après mon travail, il me coupa progressivement de mes amis et de ma famille de sorte que je n’avais plus que lui et Bess dans ma vie. Il me frappait souvent mais il prenait un soin tout particulier à ne pas frapper de zones visibles. Il épargnait donc mon visage et mon buste. En revanche mon dos, mes côtes, mes bras prenaient cher. Si j’avais des marques sur les bras, il me disait de mettre quelque chose à manches longues et j’obéissais. Si ma coiffure, mon maquillage, la robe ou les bijoux que je portais n’étaient pas à son goût, il m’ordonnait de me changer et j’obéissais. Je ne connaissais jamais de répits. Lorsqu’il n’était pas là, deux de ses gardes du corps épiaient et lui rapportaient les moindres de mes mouvements et si quelque chose lui avait déplu, je subissais sa colère dès son retour. Lorsqu’il était là, je devais sourire, rire, jouer l’épouse aimante, affectueuse et dévouée devant ses riches et influents invités et si j’avais le malheur de dire un mot de travers ou de ne pas être assez douce et aimante envers lui à son goût, à nouveau, dès le dernier invité parti, ma torture recommençait. Onze longues années passèrent ainsi jusqu’à ce qu’il franchisse la ligne et s’en prenne à Bess. Elle s’était un soir interposé entre lui et moi, cherchant à me protéger. La ceinture avec laquelle il était en train de me fouetter s’abattit sur le visage de Bess. Mon sang ne fit qu’un tour et, même si je sentais mes forces m’abandonner, je me levais et me jetais sur lui, lui griffant le visage, le frappant autant que je le pouvais. Mais il eut vite le dessus et, pendant qu’il était occupé avec moi, Bess eut la présence d’esprit d’appeler la police. Ils arrivèrent apparemment juste à temps car j’avais perdu connaissance et ne me réveillais que deux jours plus tard, à l’hôpital de Little Rock.

Une femme des services sociaux était alors venue me voir. Bess lui avait raconté la façon dont son père me traite. Je gardais le silence mais ne pouvais m’empêcher de pleurer. Ce n’était qu’une enfant. Elle était ma fille et c’était elle qui me protégeait alors que ça, d’ordinaire, c’est le rôle d’une mère. Je m’en voulais affreusement mais elle me dit que ce n’était pas à moi de culpabiliser ou d’avoir honte, mais plutôt à mon mari. A ma sortie d’hôpital, on nous plaça toutes les deux dans un foyer d’accueil pour femmes battues et c’est là que les Agents Spade et Malone me trouvèrent. Ils m’ont dit enquêter depuis longtemps sur les activités de mon mari mais ce dernier était toujours extrêmement prudent, si prudent qu’ils n’avaient rien pour l’inculper. Ils m’ont alors offert la possibilité que, si je leur fournissais les noms de ceux qui venaient chez nous, les fréquences auxquelles Jack s’absentait et où il se rendait, ils auraient alors de quoi l’arrêter et Bess et moi, nous bénéficierions du statut de témoin protégé par le FBI. Je n’aurais plus rien à craindre de lui, à l’avenir, s’il tombait aux mains de la justice. J’acceptais, leur dis tout ce que je savais et fus consternée d’entendre même Bess leur révéler des choses que je pensais qu’elle ne connaissait pas, ce qui me fit verser de lourdes larmes de chagrin. Finalement, après une année supplémentaire d’enquête, de traque et même de cavale pour Jack, le FBI parvint à l’arrêter.

En novembre 2020, je dus témoigner à la barre contre lui. Il était là, sur le banc des accusés, dans un costume parfait et entouré de deux avocats qu’il devait sûrement grassement payer. Une boule énorme au milieu de la gorge, je trouvais la force de dire tout haut les mauvais traitements qu’il m’infligeait, décrivais ce dont j’avais été témoin chez nous, comme cette fois où je le surpris dans le garage en train de torturer un homme qu’il pensait être un agent sous couverture alors qu’il n’en était rien. Il y en avait bien un mais ce n’était pas ce pauvre type. Je citais également tous les noms des cartels et autres trafiquants Sud-Américains que nous avions eu à notre table et me levais, toute tremblante, à la fin de mon témoignage, pour retourner à ma place. Je ne lui accordais aucun regard mais je sentais le sien sur moi. Le verdict rendu, il fut condamné à quarante ans de détention ferme pour trafic de drogue, multiples homicides et violence conjugale. Je le revois encore se lever, les policiers lui passer les menottes, se retourner vers moi et me lancer : « T’inquiète pas bébé, je sortirai bien avant. ». Je dus me lever, courir en urgence vers les toilettes pour vomir le peu que j’avais réussi à avaler le matin.

Un mois plus tard, je signais les papiers pour mon changement d’identité. Avec l’assistance des Agents Spade et Malone, l’on me proposa différents endroits pour démarrer une nouvelle vie avec ma Bess. Toutes les deux, nous arrêtâmes notre choix sur une petite bourgade anglaise du nom de Donwell. Les photos nous plaisaient et nous laissaient penser qu’il y ferait suffisamment bon vivre pour nous permettre d’oublier notre vie ici. Car c’est malheureusement le revers de la médaille. Nous devions tourner entièrement la page de notre ancienne vie. Cela signifiait ne plus avoir de contact avec ma famille, abandonner mon nom pour un autre, de même pour Bess, et nous créer une toute autre histoire. Je pleurais amèrement le jour des derniers adieux avec ma famille, en février 2021, mais les quittais en paix de les savoir eux aussi sous protection du FBI si jamais Jack trouvait le moyen de s’en prendre à eux depuis la prison. En montant dans l’avion à l’aéroport JFK de New-York, je jetais un dernier regard derrière moi pour dire adieu à mon pays. En m’asseyant à côté de Bess, nous nous lançâmes un regard qui voulait tout dire. Désormais, nous n’étions plus Jolene Underwood, née Johnson, et Bess Underwood, originaires du Texas et de l’Arkansas. Désormais nous étions June et Myrenda Gallagher, originaires de Dublin, venues s’installer à Donwell suite au décès dans un crash d’avion du père de Myrenda, mon mari Sean Gallagher, pour reprendre une pâtisserie, achetée grâce au montant de l’assurance décès de mon défunt époux. Nous avons recommencé à vivre le 10 Mars 2021, à Donwell, le jour où notre taxi nous déposa, avec nos quelques valises, devant la pâtisserie.

« On est chez nous », me souffla Bess…euh Myrenda, pardon.

« Oui ma chérie », fis-je en passant mon bras autour de ses épaules. « On est chez nous. »

Et cependant, je lui taisais les derniers mots d’avertissements que me souffla l’Agent Spade : « Vous êtes consciente qu’il arrivera à sortir Madame Underwood. Légalement, vous êtes toujours sa femme ; il n’a pas voulu signer les papiers du divorce. Les hommes comme lui finissent toujours malheureusement par ressortir… ». Je déglutis avec peine : « Oui je sais… ». L’Agent Spade posa sa main droite sur mon épaule avec un sourire compatissant et chaleureux : « Soyez tranquilles, vous ne risquerez rien là-bas. Un de nos contacts chez Scotland Yard gardera un œil sur vous. Même loin du pays, on ne vous laisse pas tomber. » Je hochais la tête, lui rendis son sourire et la remerciait à plusieurs reprises avant de rejoindre ma fille, qui était déjà presque dans l’avion.