adding insult to injury (eden & philipp)

Philipp était de mauvaise humeur depuis plusieurs jours, depuis la défaite contre Arsenal à vrai dire, mais son humeur était particulièrement exécrable aujourd’hui. Il détestait perdre, ce n’était un secret pour personne, mais plus que ça, il s’était également fait mal en fin de match à force de courir dans tous les sens pour tenter de rattraper les erreurs de ses coéquipiers, et ça, c’était plus grave encore. S’il était blessé, il risquait de manquer un match, et il ne pouvait pas se le permettre. S’il manquait des matchs, il ne serait jamais convoqué en équipe nationale, et il risquait de manquer toutes les grandes échéances avec son équipe. Philipp ne vivait que pour le foot, que pour la compétition, et la moindre petite gêne musculaire remettait toute sa carrière en question, c’est la raison pour laquelle il ouvrit la porte du centre d'entraînement du Chelsea FC avec un peu plus de force que nécessaire ce matin là, laissant la porte cogner contre le mur sans chercher à la retenir. Il avait eu beau insister auprès de son capitaine pour le convaincre que tout allait bien, il n’avait rien voulu entendre. Il fallait dire qu’il avait vu Philipp se tenir l’arrière de la cuisse à la fin de leur dernier match, et qu’il n’était pas complètement stupide. Pas sur ce point en tout cas. Philipp bougonna dans son écharpe tout en parcourant les couloirs du centre d'entraînement à la recherche des salles de kiné et de remise en forme. Il passa à côté d’une baie vitrée qui donnait sur les terrains un peu plus loin, et il aperçut ses coéquipiers s'entraîner avec jalousie. Beaucoup de gens pensaient que le métier de footballeur demandait des sacrifices, mais Philipp ne l’avait jamais vu comme ça. Oui, il s'entraînait dur, tous les jours, mais il n’avait vu ça comme un sacrifice. Il aimait jouer, s'entraîner, dépasser ses limites, et il détestait ne pas savoir quand il pourrait retrouver sereinement le chemin des terrains. Il était quasiment persuadé que ce n’était rien de bien grave, mais sa cuisse le lançait quand même un peu, et il ne pouvait pas faire disparaître la boule de stress au fond de sa gorge. En plus de la gêne physique, Philipp ne pouvait pas s’empêcher de se sentir agacé à l’idée de devoir aller voir le kiné de l’équipe. Pour une raison qu’il préférait ne pas creuser, il n’aimait pas l’idée de se laisser toucher par un homme, même dans un contexte professionnel. Il aurait eu moins de mal à aller voir un kiné si ça avait été Zofia, ou n’importe quelle autre femme, mais le kiné du club était un homme et ça le mettait plus mal à l’aise qu’il n’aurait aimé l’admettre. Il frappa à la porte du cabinet du kiné et entra en entendant l’autorisation. ”Bon, j’espère que ça ne va pas être long.” commença-t-il, sans même un bonjour. Il n’avait aucune intention de faire copain-copain avec le médecin, il espérait pouvoir s’en sortir en moins d’une heure pour pouvoir rejoindre ses coéquipiers sur le terrain rapidement. ”Je dois rejoindre les autres à l'entraînement."

Philipp n’avait qu’une envie : en finir vite pour pouvoir rejoindre ses coéquipiers. D’autres joueurs voyaient peut-être les entraînements comme une plaie, ne voulaient jouer que les matchs, mais pas lui. Il adorait s'entraîner, sentir ses efforts payer. Bien sûr, les matchs comptaient plus que tout, mais sans entraînement il ne pouvait pas y avoir de progrès, et alors il ne servait à rien de venir au match. Il avait fait un mauvais match contre Arsenal, il le savait, et plutôt que de ressasser dans son coin il avait besoin de reprendre l'entraînement. C’était aussi comme ça qu’il évacuait la colère. Il fronça les sourcils en entendant la réponse du kiné, surpris de l’entendre utiliser son prénom. Peut-être qu’il connaissait les joueurs parce qu’il était fan de foot, ou bien il avait appris le nom de tous les joueurs de l’équipe avec un trombinoscope. La deuxième option semblait d’ailleurs la plus probable car Philipp ne lisait absolument aucune admiration dans le regard du médecin. Au moins il ne le retiendrait pas plus que nécessaire pour taper la discut’ ou lui demander son autographe. Le milieu de terrain savait qu’il ne s’était pas montré très poli en arrivant, mais il n’avait jamais mis beaucoup d'efforts dans la maîtrise de ses émotions, que ce soit sur le terrain ou en dehors. Après tout, c’était grâce à sa hargne et à son attitude no nonsense qu’il en était arrivé là, et il n’avait aucune intention de changer. Que ça plaise au kiné ou non. Il partit s’installer sur la table et enleva son écharpe pour la poser à côté de lui, son regard posé tout du long sur le visage du kinésithérapeute. Il y avait quelque chose… d’étrange chez ce type, mais quelque chose que Philipp n’arrivait pas à définir. Un je ne sais quoi dans l’angle de sa mâchoire, dans la petite fossette au coin de ses yeux. Après plusieurs secondes à le fixer, Philipp se ressaisit et s’éclaircit la gorge bruyamment. ”Marcus ne vous a pas prévenu ?” Marcus, le capitaine de l’équipe, et la seule raison pour laquelle Philipp était là aujourd’hui. ”Après tout c’est lui qui m’a forcé à venir, donc j’imaginais qu’il vous avait expliqué.”

Si Philipp devait voir le médecin du club, il allait au moins faire tout son possible pour bien faire comprendre que c’était contre son gré. Il avait toujours détesté les médecins, et ce encore plus depuis que le cancer de sa mère était revenu. Plus que ça, il avait toujours vu les blessures comme une faiblesse, et il ne pouvait pas se permettre d’en avoir. Il laissa son regard se balader sur les murs du cabinet, comme pour gagner quelques secondes. Il savait que c’était stupide, mais il avait du mal à admettre qu’il ressentait une véritable gêne depuis le match contre les Gunners. Il se contracta presque inconsciemment en repensant au match avant de se forcer à attraper le regard du médecin. ”Une légère gêne derrière la cuisse droite. Je pense que j’ai un peu forcé à la fin du match, rien de grave.” Il se sentait obligé de donner un diagnostic lui-même, comme pour bien faire comprendre qu’il n’avait rien à faire ici, qu’il trouvait tout le procédé complètement ridicule. Il détourna à nouveau le regard, perturbé par cette impression étrange. Le visage du médecin n’avait pourtant rien de spécial, et Philipp n’était pas du genre à rester bloqué sur des détails physiques, mais il y avait juste quelque chose… Le médecin était plutôt beau, mais ça n’expliquait pas cette sensation étrange, et Philipp se força à chasser cette idée de son esprit rapidement. Il ne valait mieux pas se laisser partir dans ce genre de réflexion.

Philipp avait envie de se débarrasser de cette visite médicale aussi vite que possible. Sans être superstitieux, il n’aimait pas l’idée de voir un médecin, ça lui donnait l’impression de tenter le diable. Il avait déjà eu des gênes musculaires, et il n’avait jamais eu besoin de se faire examiner. C’était le genre de chose qui passait, pas besoin d’en faire un plat, mais le capitaine de l’équipe ne l’avait pas vu de cet œil là, et Philipp ne pouvait pas s’empêcher de se sentir frustré par son attitude. Il n’était plus un enfant, il savait très bien s’occuper de lui-même. Il connaissait son corps, il n’avait pas besoin de quelqu’un pour lui dire quoi faire. Bien sûr, Marcus n’avait pas précisé au médecin que c’était lui qui avait obligé Philipp à venir, mais le kiné devait avoir compris le topo en le voyant arriver. C’était le but en tout cas. Il n’avait pas envie que le médecin le prenne pour une chiffe molle. Il se tourna vers Eden, les sourcils froncés en l’entendant insister sur le mot forcer. Il l’avait peut-être imaginé mais il avait l’impression que le médecin se moquait de lui, et il n’appréciait pas du tout le sentiment. Sur la défensive, Philipp écouta la suite, à moitié soulagé et à moitié agacé par le ton du médecin. Au moins il avait compris le message, mais Philipp n’appréciait pas la note de condescendance qu’il détectait dans sa voix. Il avait l’impression que le médecin le traitait comme un enfant, et c’était justement ça qu’il avait voulu éviter. Plus que ça, il détestait le fait que le médecin ait sans doute raison, mais il n’allait pas l’admettre. Il y avait peu de chance qu’il se soit véritablement blessé, et donc peu de chance qu’il manque les matchs internationaux, mais il n’était pas prêt à prendre ce risque, et le médecin le savait. ”Ce n’est rien je vous dis. C’est juste mon capitaine qui fait du zèle.” Philipp soupira avant d’enlever son manteau et son écharpe pour les accrocher sur le porte-manteau. Il se comportait comme un gamin, et quelque part, il le savait, mais il n’arrivait pas à s’en empêcher. Il avait vraiment l’impression que sa mère l’avait forcé à aller chez le dentiste alors qu’il n’en avait pas besoin. ”Mais bon, à priori je n’ai pas le choix.” C’était stupide d’insister sur le fait qu’il n’avait aucune envie d’être ici, mais il tenait à être clair sur ce point. Certains joueurs n’avaient aucune tolérance pour la douleur et allaient voir le médecin trois fois par semaine. Ils avaient toujours un petit bobo quelque part, toujours une raison de se plaindre et une excuse pour expliquer leurs performances médiocres. Philipp n’était pas comme ça, et il tenait à ce que ça se sache. Il se fichait bien de la douleur, ce n’était pas le plus important. Le plus important, c’était le sport, la performance. Il s’approcha de la table mais s’interrompit dans son geste, un doute le saisissant. Il se tourna vers le médecin, les sourcils encore froncés. ”Vous avez besoin que j’enlève mon jogging ?” Tout en parlant, Philipp sentit ses muscles se contracter, et une boule se former au fond de son estomac. Il n’avait jamais autant prié pour se tromper, mais il avait bel et bien peur de devoir enlever son pantalon pour que le médecin puisse l’examiner. Il mit ses mains dans les poches de son jogging pour tenter de prendre une pose nonchalante alors que son cœur avait commencé à battre à un rythme effrayant. La visite médicale était suffisamment gênante comme ça, il n’avait aucune envie de devoir se déshabiller devant le kiné. ”Ce n’est pas nécessaire, si ?”

Philipp avait bien peur de connaître la réponse du médecin avant qu’il n’ait besoin d’ouvrir la bouche, et malheureusement pour lui, ses craintes se trouvèrent confirmées. Non seulement le kiné lui avait confirmé qu’il allait devoir se déshabiller, mais en plus il se foutait de sa gueule. Certains joueurs s’amusaient à marcher sur les autres, se croyaient au-dessus de tout et de tout le monde parce qu’ils étaient riches et célèbres, mais pas Philipp, et il n’appréciait pas du tout le ton du médecin. Même les grands joueurs comme vous peuvent se blesser. Connard. La partie raisonnable du cerveau de Philipp lui soufflait que c’était lui qui avait agressé le médecin dès le début, mais le reste de son corps refusait de l’admettre. Il n’avait jamais demandé à être ici, et il aurait préféré que cette visite médicale se déroule vite, et sans les moqueries du kiné. Les poings serrés dans les poches de son jogging, Philipp tenta de maîtriser ses nerfs, mais de toute évidence Eden avait vu qu’il était mal à l’aise. Il avait l’impression que ça pouvait se lire sur son visage aussi facilement que s’il avait porté une pancarte sur le front, et pourtant c’était la dernière chose dont il avait envie. Évidemment que le kiné allait chercher à comprendre ce qui le dérangeait tant dans le fait de devoir se faire examiner, mais il était hors de question qu’il y parvienne. Philipp sentit tous ses muscles se tendre en écoutant la suite, son corps réagissant à l’instinct. Il n’avait jamais supporté qu’on le prenne pour quelqu’un de faible ou de fragile, depuis tout petit il avait insulté les gens qui le prenaient de haut, qui lui disaient qu’il était trop petit ou trop mince pour réussir dans le foot. Il avait toujours voulu prouver qu’il était fort, et ce n’était pas le kiné du club qui allait l’insulter du contraire. ”Vous pensez vraiment que je ne supporte pas la douleur ? Je passe ma journée à me prendre des coups.” Philipp devait faire un effort pour ne pas s’énerver pour de bon. Il avait fait de gros efforts ces dernières années pour réussir à maîtriser son sale caractère, mais il lui arrivait encore de déraper. Plus souvent qu’il n’aimait l’admettre d’ailleurs. Il se mordit la langue juste à temps pour ravaler sa réponse. Je n’ai pas envie que vous me touchiez, c’est ça le problème. Lorsqu’il se tourna vers le médecin, son regard était sec, mais il se força à lui lancer un sourire sarcastique. ”Oui, vous vous êtes montré condescendant, mais je n’aime surtout pas perdre mon temps pour rien alors que je devrais être en train de travailler.” C’était une partie de la vérité au moins, mais Philipp savait bien qu’il avait assez procrastiné, surtout s’il insistait sur le fait qu’il ne voulait pas perdre de temps. Il enleva ses chaussures sans se baisser, directement avec ses orteils avant de passer ses doigts sous l’élastique de son jogging. Il se tourna en tirant sur la matière pour enlever son pantalon, essayant de cacher son visage du regard du médecin. Malgré tout ce qu’il essayait de se dire pour garder son calme, il ne pouvait pas s’empêcher d’être mal à l’aise. Il avait l’habitude de se déshabiller dans les vestiaires avec les autres joueurs, mais là c’était différent. Il y avait quelque chose de différent chez le kiné, ou peut-être était-ce simplement qu’il ne le connaissait pas assez bien. Les joues légèrement roses, Philipp s'allongea sur la table d’examen et tourna la tête vers son torse, refusant de regarder en direction d’Eden. ”C'était une légère gêne à froid à l’arrière de la cuisse droite.” Il pointa dans la direction générale de la douleur, toujours sans lever les yeux. Cette fois il garda son “c’est tout, ce n’est rien” pour lui. Il espérait avoir déjà suffisamment insisté dessus.

Si Philipp avait pu partir du cabinet du médecin en étant certain de pouvoir jouer les prochains matchs sans problème, il aurait claqué la porte sans se retourner. Oui mais justement, il ne pouvait pas en être certain, pas avant d’avoir été examiné par le médecin. Il avait fait énormément de sacrifices pour sa carrière, mais il n’en avait fait aucun autant à contrecœur que celui-ci. Pourquoi est-ce que le club n’avait pas engagé une femme kiné ? Ils avaient peut-être eu peur qu’elle ne se fasse draguer par les joueurs. Il y avait une ironie dans cette pensée, mais Philipp refusa de s'attarder dessus, la situation était déjà assez compliquée comme ça. Il savait qu’il aurait mieux fait de se détendre, que tout se serait passé plus rapidement s’il avait simplement fermé sa gueule et accepté l’examen sans broncher, mais tout son corps lui hurlait de protester, de bien montrer qu’il n’était pas là par plaisir, même si c’était ridicule. Le médecin s’excusa pour sa remarque mais Philipp demeura silencieux. Il savait que les torts étaient partagés, qu’ils penchaient même plus de son côté que de celui d’Eden, mais il était sur les nerfs et il savait qu’il n’allait pas être capable de prendre sur lui au point de présenter des excuses à son tour. Il en était déjà à peine capable quand il était à l’aise, mais aujourd’hui c’était tout bonnement impossible. Il s’allongea sur la table, plus crispé que jamais, avant de montrer l’endroit de la gêne au médecin. Il avait eu peur que le kiné ne commence à le toucher sans prévenir, mais ça ne suffisait pas à le mettre à l’aise pour autant, et la demande du médecin pour qu’il se détende n’aidait pas non plus. Il aurait bien aimé l’y voir tiens. Il se força à allonger sa respiration dans l’espoir de se détendre, mais rien n’y faisait. Même le fait d’insulter le médecin dans sa tête n’aidait pas Philipp à se calmer entièrement. ”C’est plus facile à dire qu’à faire, figurez-vous.” Il avait eu l’intention de ne prononcer ces mots que dans sa tête, mais ils étaient sortis avant qu’il n’ait pu les retenir. Mais après tout, le médecin n’avait qu’à arrêter de l’emmerder un peu, et si Philipp ressentait des remords vis-à-vis de son attitude, ils étaient noyés derrière la gêne constante qu’il éprouvait depuis qu’il avait mis les pieds dans ce cabinet. Il se tendit encore plus en sentant les mains d’Eden contre sa peau, mais essaya de ne pas trop bouger. Ses mains étaient froides, et Philipp se sentit presque soulagé de trouver leur contact désagréable. Le médecin pensait sans doute que Philipp n’avait pas envie qu’il le touche, mais la vérité c’était qu’il avait justement trop peur d’aimer ça. Il faisait tant d’efforts pour enlever toute sorte d’intimité possible avec d’autres hommes que le moindre contact le marquait d’autant plus, et il n’était pas certain de pouvoir se faire confiance face au kiné. Il hocha la tête pour répondre à la question du médecin, préférant ne pas parler. Pourtant, les mots sortirent de nouveau sans prévenir quand Philipp entendit le diagnostic du médecin. Il se releva brusquement tout en se tournant vers Eden. ”Comment ça ? Vous ne pouvez pas juste me donner du voltarène et me laisser faire ? Je peux masser le muscle avant les entraînements si besoin.” Il n’avait absolument aucune envie de se faire masser par Eden pendant une vingtaine de minutes. Il était pressé de retrouver le terrain, mais il savait également que ce n’était pas pour ça que l’idée lui paraissait si terrifiante. Même dans un contexte médical, il y avait quelque chose d’intime dans le fait de se faire masser, et Philipp refusait justement toute forme d’intimité. En privé, il refusait l’intimité avec les hommes, et en public il se forçait à mimer l’intimité avec les femmes. Ça lui permettait de survivre, de se maîtriser, et il n’avait pas l’intention de prendre le risque de venir perdre cet équilibre qu’il savait fragile. ”Écoutez, je sais que vous avez envie de bien faire, mais j’ai vraiment autre chose à faire. On n’aura qu’à dire que vous avez fait tout ce que vous pouviez, hein, et moi je retourne à l’entrainement.” Et sans attendre la réaction du médecin, Philipp posa un pied par terre pour descendre de la table.

Philipp n’avait qu’une envie, se rhabiller et filer sur le terrain en laissant le bureau du kiné derrière lui. Il n’avait jamais voulu venir le voir de toute façon, et il en avait marre de perdre son temps. Une partie de lui savait très bien que ce n’était pas pour ça qu’il refusait de se laisser examiner correctement, mais ça lui faisait une excuse plausible et il comptait bien s’y accrocher tant qu’il le pouvait. Il sentait bien que le kiné en avait marre aussi, et il avait espéré qu’il le laisse partir ne serait-ce que pour être tranquille, mais Philipp n’avait pas compté sur le fait qu’il soit borné. Il lui demandait juste de ne pas faire de zèle, mais à priori le médecin n’en était pas capable. Philipp s’arrêta en entendant sa réponse tandis qu’il calculait les chances pour que Marcus aille voir le kiné pour prendre de ses nouvelles. En considérant que c’était lui qui avait forcé Philipp à venir, il y avait fort à parier que le capitaine irait vérifier que tout s’était bien passé. Et merde. Philipp était déjà en train de se dire qu’il allait devoir rester quand Eden aborda également le sujet des sélections nationales. Il ne pensait pas que le sélectionneur irait consulter le kiné de tous les clubs d’Angleterre avant de faire ses sélections, mais Marcus était bien capable de prévenir le staff des three lions s’il pensait que Philipp ne s’était pas soigné. Non, il n’avait décidément pas le choix, aussi pénible que ce soit pour lui de l’admettre. Il était sur le point de se rasseoir sur la table avec un regard noir quand le kiné reprit la parole, le prenant complètement au dépourvu. Il se tourna instinctivement vers le médecin, les sourcils haussés sous le coup de la surprise. Comment savait-il qu’il était de Donwell ? Au-delà de ça, comment savait-il que ce village paumé existait ? Philipp avait l’habitude que les gens le google avant de le rencontrer, lui ressortent des anecdotes dont lui-même ne se souvenait pas mais qu’il avait raconté pendant des interviews. Oui, ça arrivait quand il avait prévu de rencontrer quelqu’un, mais le médecin n’avait pas pu savoir qu’il viendrait le voir, et il n’avait pas l’air d’être du genre stalker. En tout cas Philipp ne l’espérait pas. Ce ne fut qu’après quelques secondes passées à dévisager le médecin que le joueur de Chelsea comprit enfin pourquoi le visage du kiné l’avait autant perturbé. Lui aussi venait de Donwell, et ils avaient fait partie du même club quand ils étaient plus jeunes. Au moins ça expliquait cette sensation étrange que Philipp avait ressenti en le voyant. En tout cas, c'était ce qu’il préférait se dire. ”Ah mais oui, on jouait dans l’équipe du village ensemble, je me souviens maintenant. Adam c’est ça ?” Philipp se força à sourire, persuadé que cette coïncidence pouvait jouer en sa faveur. S’ils se connaissaient depuis petit, Philipp ne comprenait pas pourquoi le médecin l’emmerdait autant plutôt que de l’aider. D’autres hommes se seraient sans doute senti un peu mal de ne pas avoir reconnu un copain d’enfance, mais Philipp était trop concentré sur son objectif pour véritablement y penser. Et l’objectif était que le kiné reste une connaissance lointaine plutôt qu’un homme ayant passé plusieurs minutes à le toucher d’une manière intime. ”Écoutez… enfin, écoute…” Philipp leva les yeux vers le visage du kiné pour s’assurer que le tutoiement ne le gênait pas. Si le fait de râler ne fonctionnait pas, il était prêt à tenter une approche moins directe. ”Ça m’arrive souvent ce genre de gêne, je sais m’en occuper. Je te demande juste de me faire confiance. En souvenir du bon vieux temps ?” Des mensonges, encore. Philipp n’avait que très rarement eu des gênes musculaires, et rien qui durait plus de quelques heures après un match. Il était sérieux et responsable quand il s’agissait de son métier, et il n’avait aucune envie de prendre le moindre risque, mais entre deux risques il avait fait son choix. Plutôt jouer avec une gêne derrière la cuisse que de se laisser tripoter par le médecin du club. La première option risquait de lui faire manquer une partie de la saison, la deuxième de ruiner définitivement sa carrière, quoi qu’il essaie de se répéter pour se convaincre du contraire.

Philipp avait vraiment espéré que sa tentative fonctionne, que le kiné laisserait tomber en comprenant que Philipp avait fini par le reconnaître. Il avait presque même pensé que le kiné n’insistait que parce qu’il était vexé que son ancien coéquipier ne l’ait pas reconnu, mais il comprit rapidement que ce n’était pas le cas. Non, Eden était au moins aussi têtu que lui, et Philipp commençait à comprendre qu’il n’arriverait pas à s’en sortir. En temps normal, il n’aurait peut-être même pas attendu la réponse du médecin, il ne serait peut-être même pas venu, mais son capitaine ne laisserait rien passer à l’approche des sélections nationales. Il ne prendrait pas le risque que Philipp n’aggrave sa blessure avec l’équipe d’Angleterre, et même si Philipp avait du mal à l’admettre, il comprenait pourquoi son capitaine réagissait comme ça. Malheureusement pour lui, le médecin le comprenait aussi, et il n’avait apparemment aucune intention de le laisser partir en souvenir de leurs années au club de Donwell. Philipp ne pouvait pas lui reprocher ce manque de nostalgie, surtout vu qu’il n’avait pas réussi à se souvenir de son prénom correctement, mais il avait au moins tenté. Il avait même tout tenté, et il commençait à réaliser qu’il allait devoir y passer ou subir les foudres de son capitaine. Il n’avait pas peur de Marcus mais il savait que s’il sortait maintenant ça ne ferait que reporter l’inévitable. Et en plus de devoir se faire examiner par Eden, il allait devoir supporter un des sermons interminables de son capitaine, et ça, il préférait l’éviter s’il le pouvait. Philipp leva les yeux vers le visage d’Eden en l’entendant parler de confiance, et il fronça légèrement les sourcils. C’était justement ça le problème, il ne pouvait pas se permettre de faire confiance à qui que ce soit. Encore moins à lui-même. Tous ses problèmes étaient arrivés à un moment où il se sentait en confiance, où il s’était laissé aller, et il ne referait pas la même erreur. Pourtant, il savait qu’il n’avait plus le choix, et il laissa échapper un soupir. ”Un quart d’heure alors, pas plus.” Il savait qu’il se comportait comme un enfant qui refusait d’aller chez le dentiste, mais pour des raisons bien différentes. Un enfant avait peur d’avoir mal, pour Philipp c’était tout l’inverse. Il allait devoir faire très attention, encore plus que d’habitude, et il aurait vraiment préféré ne pas avoir à subir cette épreuve, mais Philipp voyait bien qu’il était coincé, et qu’il ne servait à rien d’insister. Il était borné, mais pas stupide. Philipp s’approcha de la table et s’assit dessus avec l’impression que tous ses muscles venaient de se crisper en une fraction de seconde. Il pouvait sentir son coeur battre un peu plus fort que d’habitude, comme quand il approchait du but avec le ballon, sauf qu’au lieu de l’excitation c’était plutôt de la panique qu’il ressentait ce matin. Il se força à se concentrer sur sa respiration pour tenter de se calmer. Il aimait prendre de longues inspirations dans ce genre de moment, juste avant d’entrer sur le terrain par exemple, mais Eden aurait sûrement trouvé ça bizarre et Philipp savait qu’il valait mieux arrêter de montrer qu’il était gêné à l’idée de se faire masser. À partir de maintenant il allait devoir se détendre et faire comme si de rien n’était, mais c’était plus vite dit que fait. Rigide comme un piquet, Philipp finit par s’allonger dans la même position que tout à l’heure, se forçant à ignorer la sensation de vulnérabilité qui le submergeait. ”Je te fais confiance pour faire au plus vite.”

Philipp avait vraiment pensé qu’il arriverait à s’enfuir et à éviter le massage, mais tous ses efforts avaient été vains. Se barrer sans se faire soigner aurait voulu dire manquer les matchs avec l’équipe d’Angleterre et devoir supporter un sermon d’une heure de son capitaine. Et ça en disait long sur la rancœur de Philipp pour son capitaine qu’il mettait presque ces deux conséquences au même niveau. Quoi qu’il en soit, il avait bien du se rendre à l’évidence, même s’il n’était retourné s’allonger qu’à contrecœur. Il pouvait sentir Eden bouger au-dessus de lui et il se crispa avant même que le kiné ne le touche. Pourtant, Eden faisait de toute évidence son possible pour essayer de le détendre, mais il ne pouvait rien faire pour que Philipp arrête de se tendre. Philipp n’avait pas le choix non plus, il valait mieux être crispé et en alerte que de se laisser aller. C’était comme ça qu’il s’était attiré des emmerdes, c’était toujours quand il se relâchait que tout partait en sucette. Alors cette fois, il était bien décidé à faire attention. Il se crispa encore plus en entendant Eden annoncer ce qu’il allait faire, comme quelqu’un qui se prépare à recevoir un coup dans la figure. Les mains du kiné n’étaient plus aussi froides que tout à l’heure, et quelque part Philipp aurait préféré que ce ne soit pas le cas. Le contact des mains du kiné contre sa peau était déjà bien plus agréable qu’il n’aurait aimé, mais toujours pas assez pour lui faire oublier la tension qui avait saisi l’ensemble de ses muscles. Les gestes d’Eden étaient précis et professionnels, mais Philipp se doutait qu’il devait se sentir frustré. Plusieurs minutes étaient passées, et même Philipp arrivait à sentir que le kiné n’arrivait à rien. Il repassait sur la même zone, mais sans obtenir le résultat escompté, si bien que le joueur ne fut pas surpris d’entendre sa voix résonner dans le cabinet. Pourtant, il s’était attendu à une remontrance, à ce qu’Eden lui demande de se détendre, et il avait été tout prêt à lui répondre qu’il était aussi détendu que possible, mais il ravala sa réponse en comprenant que le kiné n’était pas en train de lui reprocher quoi que ce soit. Il fronça légèrement les sourcils en se forçant à ne pas se retourner pour observer le visage du kiné. Peut-être qu’il essayait de l’amadouer, ou peut-être qu’il était comme tous les coiffeurs, incapable de passer plus de cinq minutes sans raconter sa vie. Pour sa santé mentale, Philipp espérait vraiment que non. Pourtant, il devait bien admettre qu’il ne risquait pas grand chose à lui répondre, tant qu’il continuait à taire une partie de la vérité. Il n’avait aucune intention d’expliquer à Eden pourquoi il revenait vraiment à Donwell. ”Oui, ça m’arrive.” répondit-il d’une voix un peu plus grave que d’habitude, l’air légèrement suspicieux. ”Mes parents y habitent encore, et je vais souvent leur rendre visite.” Une partie de la vérité au moins. Il préféra ne pas relever la remarque d’Eden sur le fait qu’il était une véritable célébrité dans le village, par peur que le kiné ne se moque de lui. La vérité c’était qu’il s’en serait bien passé de cette célébrité, d’autant plus que les villageois le mettaient souvent dans le même sac que Miles étant donné qu’ils étaient tous les deux devenus pros. La comparaison était facile, mais Philipp aurait justement préféré qu’elle s’arrête là. Il réajusta sa position sans même s’en rendre compte tandis que ses muscles se détendaient légèrement. ”Et toi ? Tu y retournes souvent j’imagine ? Je t’ai jamais croisé pourtant.” Ou bien peut-être qu’il l’avait déjà croisé et qu’il n’avait simplement jamais fait attention, mais ça, Philipp avait du mal à y croire. S’il avait croisé un mec comme Eden à Donwell, il s’en serait souvenu. Il sentit ses joues rougir à cette pensée, et il baissa la tête pour coller son front contre la table. Un peu de concentration, bordel. La main d’Eden contre sa peau commençait à le déstabiliser, et ça, il ne pouvait pas se le permettre. Il pouvait presque sentir ses muscles se détendre contre son gré, et il serra les dents pour tenter de retrouver un semblant de contrôle. ”Tu habites pas encore là bas quand même, si ?” Avec la crispation, sa voix était sortie plus sèchement qu’il ne l’avait voulu. Il n’avait pas voulu paraître méprisant, mais il aurait été surpris d’apprendre qu’Eden n’avait jamais quitté leur petit village, et qu’il faisait le trajet tous les jours jusqu’à Londres.