((Zofia & Joanne)) I'll be seeing you in all the old, familiar places

Joanne avait été surprise de retrouver Zofia à Donwell, non seulement parce qu’il était rare de tomber sur d’anciens londoniens dans la banlieue sud de l’Angleterre, mais encore plus parce qu’elle la connaissait. Adolescente, Joanne avait trouvé quelques petits boulots de babysitting dans le quartier, sa mère avait pensé que ce serait un bon moyen de lui apprendre la valeur de l’argent. Mais si elle avait appris quelque chose de ses boulots, Joanne l’avait oublié depuis longtemps. Elle avait appris à vivre dans l’opulence, même si l’argent était venu avec d’autres sacrifices. Zofia lui avait donné rendez-vous dans un café sur la place de l’église et Joanne était partie de chez elle avec quelques minutes de retard, prise par un appel de George au sujet du dîner chez ses parents du week-end suivant. Elle pressa le pas dans les rues de Donwell, ses talons claquant contre les pavés. Elle salua plusieurs villageois sur son chemin, se forçant à leur sourire, à faire bonne figure. À jouer son rôle de femme dans la famille Hawkes. Elle n’arriva finalement au café qu’avec une petite minute de retard, légèrement essoufflée, mais sans rougir sous le coup de l’effort. Faire bonne impression, c’était le plus important, ce que George s’était efforcé de lui apprendre. Mais cette fois, Joanne avait également envie de faire bonne impression pour elle-même.

Elle entra dans le café et aperçut Zofia lui faire un geste de la main, mais elle n’en avait pas besoin. Elle aurait reconnu son visage de poupée n’importe où. Déjà petite, Zofia avait eu quelque chose de… particulier, quelque chose qui la démarquait, une lueur dans le regard peut-être. À l’époque, Joanne s’était dit que la jeune fille irait sans doute loin, elle avait été gentille, vive, douce. Mais à la voir dans un café de Donwell, Joanne commença à se dire qu’elle avait sans doute eu tort. Elle lui lança un sourire plus naturel que ceux qu’elle avait distribués sur le chemin avant de retirer son écharpe. ”Oh, laisse moi regarder.” Joanne se tourna en direction du comptoir et fit sembler d’admirer les pâtisseries qui avaient été exposées pour donner envie aux clients de craquer. Elle n’avait plus mangé de gâteaux de ce genre depuis son arrivée à Donwell, depuis que George avait commencé à lui faire des remarques sur son poids, appuyé par son père. Elle posa une main sur le dossier de sa chaise après y avoir posé son manteau. ”Je vais juste prendre un café, mais tu veux quelque chose ?” Joanne tenta de lui lancer un sourire bienveillant, un geste qu’elle n’avait pas eu à faire depuis si longtemps qu’il paraissait sans doute forcé. La blonde resta debout pour pouvoir aller commander pour elles-deux, ce qui était inhabituel pour elle. En temps normal, elle se serait assise, forçant quelqu’un à venir la servir. Encore une chose que George lui avait appris, et sur laquelle il insistait. Ne jamais faire quelque chose quand on peut faire en sorte que les autres le fassent pour nous. C’est ça, le pouvoir. Joanne se força à chasser la voix de son mari de ses pensées et suivit le regard de Zofia jusqu’au comptoir. ”Je ne me souvenais pas que tu étais gourmande.”

Joanne sentit ses lèvres s’étirer en un léger sourire en entendant la jeune femme expliquer que la tarte à la rhubarbe la tentait depuis tout à l’heure. Elle attrapa le regard d’une serveuse et lui indiqua leur commande avant de venir s’asseoir face à Zofia. Sans comprendre pourquoi, elle se sentit un peu déstabilisée de voir que la jeune femme était devenue plus grande qu’elle, qu’elle pouvait presque la regarder de haut maintenant qu’elles étaient toutes les deux assises. Elle regrettait presque de s’être assise, mais elle fit de son mieux pour paraître à l’aise, malgré la douleur du nouveau bleu que George lui avait fait au bras la nuit dernière, et malgré l’étrangeté de se retrouver de nouveau face à Zofia. Joanne secoua doucement la tête en l’entendant s'excuser d’avoir été difficile à l’époque. Bien au contraire, Zofia avait été un des enfants les plus faciles à garder pour Joanne. Elle n’aurait jamais accepté de revoir certaines des terreurs qu’elle avait dû babysitter à l’époque. Elle lui lança un petit sourire tout en l’observant du coin de l'œil. Elle était peut-être devenue gourmande avec le temps, mais Joanne aurait été incapable de le deviner. Elle avait gardé un corps svelte, léger, et Joanne se prit à l’envier. Elle qui avait dû changer de mode de vie pour satisfaire les attentes de son mari et de sa belle-famille, elle se souvenait à peine du goût d’un bon dessert, d’une pizza encore chaude. Mais à priori, Zofia pouvait rester en forme sans se priver, une chance pour elle.

La blonde releva les yeux vers le visage de Zofia en l’entendant mentionner Londres. Alors comme ça elle travaillait à Londres tout en habitant à Donwell. Une autre raison de l’envier, pensa Joanne tout en essayant de ne rien laisser paraître. Londres lui paraissait parfois appartenir à un autre monde, une autre vie. La manière dont Zofia parlait de sa vie lui donnait la sensation qu’elles vivaient dans deux réalités différentes, dans des univers parallèles peut-être. Elle hocha doucement la tête. ”J’ai entendu dire beaucoup de bien des desserts ici en tout cas.” Mensonge éhonté. Elle n’en mangeait pas elle-même, mais toutes les connaissances qu’elle avait pu rencontrer à Donwell faisaient de même. Les seules personnes qui auraient pu lui en parler auraient été Alan et Tess, mais s’ils appréciaient les tartes du café, ils ne lui en avaient jamais parlé. Joanne se força à ignorer le pincement au coeur que cette pensée provoqua. Une serveuse déposa leur commande sur la table et Joanne la remercia d’un petit geste de la tête. Elle attrapa sa cuillère et touilla son café, comme par réflexe, même si elle n’y avait rien ajouté. Après quelques secondes, elle concentra de nouveau son attention sur Zofia. ”Oh, j’ai emménagé ici il y a un moment, 7 ou 8 ans.” Joanne imita un sourire, chose qu’elle avait de plus en plus de mal à faire ces derniers temps. La seule pensée de cette époque, de cette décision et des conséquences qu’elle avait eu suffisait à lui donner envie de pleurer. Et ça, c’était hors de question. Elle n’avait pas envie de parler de Donwell, ou de parler de sa vie tout court d’ailleurs. Zofia représentait une partie de sa vie qui lui manquait, comme le souvenir d’un bonheur qui s’était enfui. Et elle avait envie de s’y accrocher, ne serait-ce que pour quelques minutes. ”Ce n’est pas trop compliqué d’aller à Londres tous les jours ? Où est-ce que tu travailles ?” Elle avait envie d’entendre tous les détails, n’importe quoi qui puisse l’aider à oublier ce qui s’était passé la nuit dernière et ce qui l’attendait encore ce soir. ”Tes parents habitent encore le même immeuble ?”

Joanne attrapa sa tasse et commença à boire, plus pour cacher sa réaction que par envie de café. Oui, la vie à Donwell était plus paisible, enfin pour certains. D’une certaine manière, la vie de Joanne avait été plus calme à Londres, mais ça bien sur, Zofia ne pouvait pas le savoir. Elle, elle aurait tout donné pour pouvoir retrouver l’agitation de la vie londonienne et un peu de calme dans sa vie personnelle, mais ce n’était à priori pas le cas de Zofia. Non, sa vie avait l’air parfaite, elle était là où elle voulait être, et pourtant Joanne ne manqua pas la manière dont elle se tendit en entendant sa question. Elle avait sans doute touché un point sensible, mais à la seconde où elle allait dire à Zofia qu’elle n’était pas obligée de lui répondre, la jeune femme prit la parole. Joanne fut si surprise par sa réponse qu’elle resta bouche bée quelques secondes avant de se reprendre. ”Oh…” souffla-t-elle en reposant sa tasse contre la table. Elle pouvait voir à quel point c’était difficile pour elle d’en parler, et elle n’arrivait que trop bien à imaginer sa peine. Joanne n’avait jamais connu son père, mais elle savait ce que c’était que de perdre un parent. ”Je suis désolée...”

C’était bête à dire, mais Joanne ne trouvait rien de mieux. Elle posa une main sur sa cuisse sous la table et serra un morceau de pantalon entre ses doigts, un réflexe qu’elle avait pris ces dernières années pour essayer de retrouver le contrôle de ses émotions. Elle aurait aimé pouvoir lui dire quelque chose, mais elle savait qu’aucune phrase ne suffirait. Il y avait des choses qui restaient avec vous, quoi qu’on puisse dire ou faire. Alors au lieu de parler, Joanne attrapa sa tasse et laissa la jeune femme poursuivre quand elle était prête. Elle hocha doucement la tête en l’écoutant. Au moins elle avait trouvé des alliés dans ce village, contrairement à Joanne. Elle ne s’était pas retrouvée entièrement seule. ”Et ta mère alors ? Elle travaille dans le coin ?” Un changement de sujet leur ferait sans doute du bien à toutes les deux. Joanne savait que c’était stupide de le penser, surtout après ce que Zofia venait de dire, mais elle ne pouvait pas s’empêcher d’envier un peu la femme assise face à elle. Elle paraissait sans complexe, sûre d’elle, tout son contraire. Elle était libre. ”Tu habites encore avec elle dans le village, ou avec ton copain peut-être ?” Joanne ne pouvait pas être certaine que Zofia ait un copain ou non, mais elle l’imaginait très bien. Un copain de son âge, grand, beau, gentil. La vie parfaite, elle pouvait presque le sentir en la regardant.

Joanne hocha doucement la tête en écoutant Zofia raconter son histoire. Elle pouvait imaginer la scène de là, les sacrifices que sa mère avait fait pour sa fille, et les périodes difficiles qu’elle avait dû traverser. Et pourtant, même si Joanne savait désormais qu’elle ne ressentirait jamais la même chose, elle comprenait très bien ce qui avait poussé la mère de Zofia à tout faire pour le bonheur de sa famille. Elle aimait se dire qu’elle aurait fait la même chose, mais elle n’aurait jamais l’occasion de le savoir. Elle se demanda un instant qui était devenu son beau-père, si elle le connaissait, mais elle n’osa pas poser la question. Après tout ça n’avait pas grande importance, le principal c’était que Zofia l’apprécie, et à la manière dont elle parlait de lui, ça avait l’air d’être le cas. La mère de Joanne n’avait jamais essayé de se trouver un copain, peut-être qu’elle n’avait pas voulu perturber sa fille. Elle était restée seule jusqu’à la fin. Joanne se força à avaler la boule de culpabilité qui s’était formée dans sa gorge à cette idée.

Elle lança un petit sourire en direction de la jeune femme en l’entendant dire qu’elle avait quand même un studio à Londres pendant ses études pour ne pas prendre trop de risques au volant. ”Oui, et puis ça devait te faire gagner pas mal de temps, c’est important quand tu es à l’école.” Oui, bien sur, mais ce n’était pas pour cette raison que Joanne se sentait un peu jalouse des histoires de Zofia. Elle se souvenait de ses petits boulots dans la capitale, de la liberté. De ces années où elle avait étudié la journée, et but toute la nuit. Des tournées au bar, de ses amis qui rigolaient, qui déambulaient dans les rues de Londres. Elle n’aurait manqué ces soirées pour rien au monde, et même après plusieurs années, elles lui manquaient terriblement. Perdue dans ses pensées, Joanne sursauta presque en entendant la question de Zofia. Contrairement à la jeune femme, elle n’était pas venue à Donwell suite à un drame, enfin pas vraiment, et pourtant, les drames n’avaient fait que la suivre depuis. ”Oh moi ? J’ai suivi mon mari à Donwell. Il a toujours habité ici, sa famille est ici…” Joanne laissa sa phrase en suspens pour boire une gorgée de café. Oui, George avait eu sa famille à Donwell, et elle, elle n’avait plus eu personne. Elle avait été seule. Elle se demandait parfois si elle aurait accepté de venir à Donwell si sa mère n’était pas morte quelques mois avant à peine, mais peut-être valait-il mieux ne pas se poser la question. Quelque chose lui disait que la réponse aurait été trop douloureuse. ”La décision a été assez rapide à vrai dire.” Elle se força à sourire pour masquer au mieux les pensées qui lui traversaient réellement l’esprit, pour ne pas s’attarder sur le fait que la décision avait été trop rapide. Qu’elle avait l’impression de s’être fait avoir comme un enfant trop naïf, et qu’elle le regrettait amèrement aujourd’hui. Oui, il valait mieux ne pas s’attarder sur ces pensées. ”Tu as rencontré ton copain à Donwell alors, ou à Londres ?” Joanne passa une main dans ses cheveux et replaça une mèche derrière son oreille. Sa main retomba ensuite presque machinalement contre son avant bras, juste au-dessus de son hématome le plus récent. ”Je le connais ?”

Joanne secoua doucement la tête pour répondre à la question de Zofia avant de porter sa tasse à ses lèvres, plus pour masquer son expression que par soif. La vérité c’était que George n’avait même jamais semblant de considérer Londres, il avait directement agi comme si la décision avait déjà été prise, et Joanne avait suivi sans protester. Déjà à l’époque, elle n’avait rien osé dire, et elle le payait désormais. Joanne reposa finalement sa tasse après avoir changé de sujet. C’était beaucoup plus simple de parler de Zofia. Tous les sujets qui la concernaient semblaient être douloureux ou secrets, elle avait le sentiment de ne plus pouvoir parler que de banalités, alors à quoi bon ? Et puis elle avait appris à aimer écouter les autres parler de leur vie, ça lui donnait l’impression de vivre autre chose que son propre quotidien, ne serait-ce que pour quelques minutes. Elle hocha la tête, un petit sourire au coin des lèvres. Il tenait la librairie du village ? Un des rares business que les Hawkes n’avait jamais tenté de racheter, pas assez rentable. Pour sa part, Joanne avait toujours trouvé l’endroit charmant, et puis c’était un des rares lieux culturels de la ville. Elle ne se souvenait pas exactement du visage du libraire, mais elle se souvenait avoir pensé qu’il était plutôt mignon et qu’il avait l’air doux, sympathique. Le fait que Zofia le connaisse et habite avec lui ne faisait que confirmer son impression. Ça devait être quelqu’un de bien. ”Ah oui, je vois très bien.” Un demi-mensonge seulement. Elle se souvenait bien de l’endroit même si le visage du propriétaire ne lui revenait qu’à moitié. Elle sentit sa poitrine se gonfler légèrement à la pensée que Zofia et elle connaissent toutes les deux quelqu’un dans le village. C’était stupide sans doute, mais ça lui donnait l’impression d’être un tout petit peu moins seule. Elle nota dans un coin de sa tête de passer à la librairie dans la semaine avant de touiller son café un peu vainement.

La dernière phrase de Zofia l’avait mise un peu mal à l’aise, mais elle s’efforça de n’en rien laisser paraître. Elle pouvait comprendre que la jeune femme veuille habiter ici, au calme, près de sa famille, mais pour Joanne qui n’avait plus de famille depuis longtemps, le village n’avait aucun attrait… à part peut-être un. Elle but une gorgée de café, espérant ne pas avoir rougit en repensant au psychologue. Malgré tous ses efforts, le médecin apparaissait régulièrement dans ses pensées, non pas qu’elle arrive à le regretter totalement. ”Oui, et puis ce sera l’endroit idéal pour fon-” Joanne s’interrompit en pleine phrase, arrêtant son geste de la main pour reposer la tasse sur la table. Pour fonder une famille. La phrase était sortie toute seule, mais la pensée continuait à former une boule de plomb au fond de son estomac. Et la boule semblait devenir plus lourde avec chaque jour qui passait. Dans ce qui lui sembla un effort surhumain, Joanne reposa la tasse avec un petit rire. ”Mais vous avez tout l’avenir devant vous, je suis sûre que vous ne pensez pas encore aux enfants.” Joanne passa une main dans ses cheveux pour tenter de calmer les battements de son cœur. Un autre sujet, rapidement. "Raconte-moi plutôt ton travail, je n’ai pas bien compris.” Elle s’éclaircit la gorge avant de froncer légèrement les sourcils dans sa concentration. ”Tu travailles pour Arsenal, c’est ça ? Mais directement avec les joueurs ?” Non seulement Joanne était soulagée d’avoir trouvé un autre sujet de conversation, mais elle était également curieuse. Elle n’avait jamais été une très grande fane de premier league, mais elle avait souvent suivi les matchs en travaillant au pub, et elle avait adoré l’ambiance des grands matchs, l’effervescence des heures juste avant le coup d’envoi. Elle n’avait jamais eu de club préféré à Londres, mais elle était curieuse d’entendre la jeune femme parler de ce monde qui lui rappelait de bons souvenirs.

Joanne s’éclaircit la gorge pour tenter de faire passer son malaise, croisant les doigts pour que Zofia ne s’en rende pas compte. Mais qu’elle ne l’ait pas vu ou qu’elle ait eu la délicatesse de ne pas relever, Zofia ne s’attarda pas sur le sujet des enfants. Joanne eut l’impression d’avoir également touché un point sensible chez la jeune femme avec ce sujet, mais sans être certaine de pourquoi. Peut-être qu’elle n’était pas d’accord avec son copain au sujet des enfants, ou peut-être que la question lui rappelait son père, et le fait qu’il n’avait pas pu la voir grandir. Elle sentit une boule se former au fond de sa gorge mais se força à l’ignorer, préférant changer de sujet. Elle avait souvent l’impression d’aborder des sujets douloureux sans le vouloir, mais avec Zofia c’était encore pire. Elle abordait des sujets qui leur faisaient de la peine à toutes les deux, mais elle espérait bien ne pas reproduire l’erreur en parlant de son travail. Elle pouvait presque sentir le soulagement dans l’attitude de la jeune femme avec cette opportunité de passer à autre chose. De toute évidence son travail la passionnait, et Joanne se retrouva une nouvelle fois jalouse de la petite fille qu’elle gardait autrefois. Un boulot qui l’intéressait, une occupation, une passion, voilà quelque chose qu’elle avait abandonné il y a plusieurs années, sans vraiment comprendre à quel point ça lui manquerait.

Elle écouta la jeune femme parler de son travail tout en hochant doucement la tête. Joanne n’avait pas pour habitude d’être curieuse au sujet de gens qu’elle ne connaissait pas personnellement. Elle n’avait jamais été très attirée par les ragots ou les rumeurs qui pouvaient courir sur les célébrités, mais elle ne pouvait pas s’empêcher de se sentir un peu impressionnée de savoir que Zofia travaillait tous les jours avec des joueurs que son mari aurait tué pour rencontrer. Elle ferait d’ailleurs attention de ne pas parler de Zofia à George. ”C’est vrai qu’on oublie à quel point c’est dur physiquement. Ça parait si facile à la télé.” Joanne se prit à imaginer la vie de ces joueurs que son mari aimaient tant, à imaginer les sacrifices qu’ils devaient faire tous les jours pour pouvoir continuer à jouer. Eux au moins faisaient des sacrifices pour quelque chose, tandis qu’elle avait tout sacrifié pour ne rien obtenir en retour. ”Et pour toi, ce n’est pas trop dur ?” Joanne but une gorgée de café avant de reposer sa tasse sur la table. Elle avait déjà passé de longues soirées à travailler dans un pub rempli de fans de foot, et ce qu’elle avait vu des supporters ne la rassurait pas forcément sur les joueurs en eux-mêmes. ”Ils ne sont pas pénibles avec toi ?” Après tout, Zofia était une très jolie femme, et elle n’aurait pas été surprise d’entendre que des joueurs la draguaient régulièrement. ”Ton copain n’est pas jaloux j’espère ?” Elle pensa à George, et se fit la remarque qu’il n’aurait jamais accepté de la savoir entourée d’hommes toute la journée. Encore moins d’hommes riches, célèbres et en très bonne forme physique. Mais après tout, il n’avait jamais accepté qu’elle travaille tout court.

Joanne regretta sa question à la seconde où elle aperçut le visage de Zofia changer, son expression passait du calme au doute en l’espace d’une seconde. Elle avait posé la question pour faire la conversation, pas pour mettre la jeune femme mal à l’aise, mais ces derniers mois surtout, elle semblait avoir un don pour aborder des sujets sensibles. Et pourtant, elle trouvait la réaction de Zofia presque attendrissante, et elle la rassurait. Si Tobias avait été jaloux, la réaction de Zofia n’aurait pas du tout été la même. Le fait qu’elle réagisse ainsi, qu’elle s’inquiète pour son petit ami montrait à Joanne qu’elle n’avait aucune raison de s’en faire. Même si elle n’avait plus vu la jeune femme depuis plusieurs années, elle n’avait pas pu s’empêcher de se demander si tout allait bien, de s’assurer qu’elle n’avait pas fait les mêmes erreurs qu’elle, qu’elle ne s’était pas enfermée dans une relation toxique. À priori, ce n’était pas le cas, et Joanne tenta un sourire rassurant mais Zofia avait suivi le fil de ses pensées, amenant elle-même un sujet sensible sur le tapis sans le vouloir. Non, George n’aurait jamais accepté qu’elle fasse un tel métier, n’importe quel métier à vrai dire, mais ça, Joanne ne pouvait pas le dire. Pas comme ça en tout cas. ”Oh, George aurait sans doute été un peu jaloux au début.” Elle remit une mèche de cheveux derrière son oreille, un tic qu’elle avait quand elle mentait, un geste qu’elle avait donc dû faire souvent au fil des années. Malgré tout l'entraînement qu’elle avait eu, et la facilité avec laquelle les mensonges venaient à force, elle n’avait jamais réussi à se débarrasser de ce tic. ”Mais c’est une très bonne chose que Tobias ne le soit pas. Je suis sûre qu’il ne se pose même pas la question si vous n’en avez jamais parlé.” Joanne avait connu des gens jaloux avant George, et elle savait d’expérience que la jalousie n’était pas quelque chose qu’on pouvait cacher. Quand on essayait de la réprimer, ça sortait inconsciemment, ça vous bouffait de l’intérieur. C’était une maladie, mais Joanne avait mis plusieurs années à le voir. Elle avait fait partie de ces filles qui trouvaient ça mignon, presque touchant. Elle voyait les choses différemment depuis. Elle tendit sa main sur la table pour la poser doucement sur celle de Zofia, mais son geste ne dura que quelques secondes. Elle était moins à l’aise avec les contacts physiques qu’à l’époque. Elle s’éclaircit la gorge avant de passer ses doigts autour de sa tasse, sans pour autant la porter à ses lèvres. Elle se sentait fatiguée tout à coup. La discussion sur la jalousie l’avait un peu minée, et elle regrettait d’avoir abordé le sujet. Oui, Zofia avait énormément de chance que Tobias ne soit pas jaloux, même si elle ne s’en rendait pas forcément compte pour l’instant. Elle se força à sourire avant de changer le sujet. ”Mais alors tu travailles avec…” Joanne fronça les sourcils pour tenter de se souvenir de ce que George lui avait dit, du nom du joueur d’Arsenal qui habitait dans le coin, mais sans succès. ”Je ne me souviens plus de son nom, mais un joueur de ton équipe habite par ici, non ?” Joanne fit une grimace gênée, espérant que Zofia ne lui en voudrait pas de ne pas connaître le nom de tous les joueurs d’Arsenal. Elle supposerait sans doute qu’elle n’aimait pas vraiment le foot, même si ce n’était qu’à moitié vrai.