((Zofia & Joanne)) I'll be seeing you in all the old, familiar places

Joanne sursauta presque en voyant la réaction de Zofia et la rapidité avec laquelle elle avait cité le nom du joueur d’Arsenal. Elle paraissait presque soulagée, comme si elle avait elle-même voulu changer de sujet, et Joanne se retrouva d’autant plus contente d’avoir trouvé un nouveau sujet de discussion. Elle porta sa tasse à ses lèvres tout en écoutant Zofia parler de son ami d’enfance, de leur entente, et des petites choses qu’elle pouvait trouver agaçantes chez lui. Et pourtant, Joanne pouvait voir que Zofia n’était pas véritablement agacée, elle parlait de Miles comme d’un enfant à qui elle pardonnait tout. Elle avait clairement de la tendresse pour le joueur de son équipe, et Joanne se demanda un instant si Tobias n’avait pas finalement des raisons d’être jaloux. Elle hocha la tête en écoutant la suite, elle-même assez étonnée de la coïncidence, et amusée d’entendre l’enthousiasme dans la voix de la jeune femme. Comme quoi le monde était vraiment petit, même en dehors de Donwell. C’était d’ailleurs pour ça que Joanne n’aimait pas les petits villages et qu’elle avait adoré la ville : l’anonymat. Elle ne pouvait pas faire deux pas dans Donwell sans croiser quelqu’un qu’elle connaissait, ou plutôt que son mari connaissait, et parfois elle aurait vraiment aimé passer inaperçue, pouvoir être un peu seule. Elle sentit ses joues rougir légèrement à la question de Zofia, et elle secoua doucement la tête tout en posant sa tasse sur la table. Les yeux légèrement baissés, Joanne s’éclaircit la gorge. ”Non, pas vraiment.” La vérité c’était que même si elle tombait sur quelqu’un qu’elle avait connu avant Donwell, ils ne la reconnaitraient peut-être même pas, et Joanne devrait sans doute faire semblant de ne pas les connaître eux. Elle avait dû tirer un trait sur sa vie à Londres, sans véritablement s’en rendre compte. Aujourd’hui elle ne connaissait plus personne, elle n’avait pas gardé de contact, et elle n’avait plus de famille. Sur qui aurait-elle pu tomber par hasard ? Personne. Elle leva les yeux vers le visage de Zofia et se rendit compte qu’elle avait sans doute été un peu sèche dans sa réponse. ”À part le fait de te retrouver ici à Donwell, bien sûr.” Joanne lui lança un sourire sincère, mais qui ne devait sans doute pas paraître naturel tant elle avait essayé de se rattraper. Elle aurait aimé pouvoir être entièrement à l’aise avec Zofia, comme elle avait pu l’être à l’époque, mais c’était tout simplement impossible. Elle avait trop pris l’habitude de se cacher derrière son statut, derrière son mari, derrière de la politesse sans grand chose derrière. Revoir Zofia la forçait à confronter la Joanne de Londres à celle de Donwell, et elle avait l’impression de jouer un rôle quelle que soit la Joanne qu’elle essayait d’être. Elle leva sa tasse et tenta de boire avant de se rendre compte qu’elle avait déjà terminé son café. Elle reposa la tasse dans sa soucoupe, hésitant à en commander un deuxième dans la foulée. Pile à ce moment, la serveuse passa à côté de leur table et Joanne vérifia que Zofia n’avait pas fini son thé avant de lui faire un signe de la main pour demander un nouveau café. La part de gâteau de Zofia face à elle lui donnait faim, mais elle savait qu’elle ne pouvait pas se la permettre, et il était plus facile de résister quand elle avait un café devant elle. Elle remit une mèche de cheveux derrière son oreille tandis qu’un silence pesant s’installait entre les deux femmes. Joanne cherchait désespérément un nouveau sujet de discussion, mais son cerveau refusait de coopérer. Elle était sur le point de s’éclaircir à nouveau la gorge, ne serait-ce que pour rompre le silence, quand elle se souvint d’une phrase de George la veille au soir pendant le dîner chez ses parents. ”Il y a une trêve internationale qui approche, non ? Tu as quand même de quoi t’occuper pendant ce temps ?” Après tout, Zofia avait eu l’air d’aimer parler de son boulot, et Joanne avait aimé l’écouter.

Joanne était souvent curieuse du boulot des autres, jalouse sans doute de voir que tout le monde sauf elle semblait avoir une occupation, mais elle n’avait jamais autant voulu aborder ce sujet avec quelqu’un. Bien sûr, elle était curieuse, mais elle souhaitait surtout ne pas s’attarder sur le sujet précédent, et éviter que Zofia ne comprenne trop de choses sur sa vie ici. Elle arrivait de moins en moins bien à prétendre que tout allait bien, à faire semblant de sourire, et elle savait que ce serait encore plus compliqué de tromper une femme maligne comme Zofia. Les commères du village ne cherchaient pas aussi loin, mais Zofia était loin d’être stupide, et Joanne préférait ne pas s’attarder sur un sujet aussi sensible. Elle hocha la tête avant d’attraper sa tasse, oubliant une seconde qu’elle était vide. Une serveuse arriva pile à ce moment pour lui apporter son deuxième café et Joanne lui lança un sourire reconnaissant. Elle commençait à avoir faim, et le café lui ferait le plus grand bien. C’est vrai que le staff devait avoir fort à faire pendant la trêve et pendant les vacances, ne serait-ce que pour préparer la rentrée. Les joueurs prenaient peut-être quelques semaines de vacances, mais le staff ne pouvait sans doute pas se permettre d’en faire de même. Elle écouta la jeune femme parler du calme pendant l’absence des joueurs, et du fait qu’elle aimait bien travailler sans avoir une pression aussi constante sur ses épaules, mais Joanne devait admettre qu’elle ne comprenait pas. Au contraire, elle avait adoré les moments de rush dans son travail, ces moments où on ne pouvait plus penser à rien tellement on avait de choses à faire. Elle se souvenait encore des bruits de verres qui cassent, des cris des hommes ivres à deux heures de l’après-midi devant un match de Premier League. Le rush des soirées de Champions league. Oui, elle aurait donné cher pour retrouver cette ambiance, mais elle ne pouvait pas s’attendre à ce que Zofia pense la même chose. Quand on était bien occupé c’était normal de vouloir un peu de calme de temps en temps. Du calme, Joanne n’avait plus que ça. C’était l’agitation qui lui manquait. Joanne était en train de porter sa tasse à ses lèvres quand Zofia s’interrompit d’elle-même, et la blonde fut presque déçue. Elle aurait pu écouter la jeune femme parler de son travail, de ses journées pendant des heures. Et pourtant, un petit sourire apparut au coin de ses lèvres. Elle ne parlait plus de Londres avec personne ces dernières années, et surtout pas devant George, mais peut-être que la nostalgie des souvenirs qui remontaient lui avaient donné confiance. ”Hé bien, ça va peut-être te paraître étrange, mais j’ai travaillé dans un pub de Londres pendant plusieurs années.” Elle sourit autour de sa tasse avant de boire une gorgée de café. Quand elle reposa sa tasse sur la table, elle se demanda quand elle avait parlé de Londres pour la dernière fois. Quand elle s’était sentie aussi libre. ”Et j’adorais les soirées foot en semaine, et bien sûr les journées le weekend.” Elle avait rencontré son mari à une soirée Champions League dans son pub, mais elle préféra chasser cette idée de son esprit pour le moment. Elle avait envie de profiter du moment, même s’il ne devait durer que quelques secondes. ”J’adorais l’ambiance, les gens qui hurlaient sur la télé, et les explosions de joie pendant les buts. J’aimais moins ramasser les morceaux de verres après coup, mais je pense que les moments de joie les plus intenses et les plus spontanés que j’ai vu étaient devant du foot.” Elle n’avait jamais connu toutes les subtilités du sport, mais elle avait appris à aimer l’ambiance autour du foot, les petits rituels, les superstitions. ”Mais c’est surtout mon mari qui aime ça.” Et voilà, presque inconsciemment, avec des années d’habitude derrière elle, Joanne avait ramené le sujet sur son mari. Il avait pollué tous ses souvenirs d’indépendance, tous les moments qu’elle avait vécu seule, si bien qu’elle ne pouvait même plus penser à ses souvenirs de Londres sans que l’image de George ne prenne le dessus. Elle avait mis des années à s’en rendre compte, mais depuis qu’elle l’avait réalisé elle ne pouvait plus l’ignorer. Son visage s’assombrit inconsciemment, même si Joanne fit de son mieux pour ne pas trop le montrer. ”Depuis que je suis à Donwell j’ai moins l’occasion de passer du temps au pub pendant les matchs.” Elle accompagna sa remarque d’un sourire comme pour tenter de noyer le poisson. Elle aurait aimé pouvoir continuer à aller au pub régulièrement, même à Donwell. Il ne devait pas y avoir la même ambiance que dans les pubs londoniens, mais Joanne avait récupéré George ivre mort assez souvent pour savoir qu’il y avait quand même de quoi s’amuser. Elle n’aurait sans doute pas pu travailler au White Horse pendant plusieurs années, mais George n’avait même jamais considéré ça comme une option, et à l’époque, Joanne avait simplement accepté sans broncher. Ce n’était qu’aujourd’hui qu’elle le regrettait vraiment.

Joanne hocha la tête tout en écoutant Zofia lui répondre. Elle avait entièrement raison, et c’était surtout ça qui l’avait attirée dans le foot à l’époque. Elle avait été fascinée par l’obsession de certaines personnes avec une équipe dont il ne connaissait pas vraiment les joueurs, et pour des matchs sur lesquels ils n’avaient aucun contrôle. Et pourtant, elle avait compris. Elle s’était parfois laissée prendre au jeu, à supporter une équipe ne serait-ce que pour une soirée, pour vivre un peu le match avec les supporters. Oui, sans être une grande fan du sport, elle comprenait l’engouement et la sensation si intense qu’on ne pouvait ressentir que quand son équipe préférée mettait un but. Pourtant son sourire s’effaça lorsqu’elle parla de nouveau de son mari à Zofia, sans même qu’elle ne s’en rende compte. Toute l’excitation qu’elle avait ressenti aux souvenirs de ses soirées au pub était partie, comme envolée, la laissant plus vide encore. Elle tenta de ne pas trop le montrer, de sourire pour que Zofia ne se pose pas trop de questions, mais sans y parvenir. Même sans voir son visage, Joanne savait qu’elle n’avait pas entièrement réussi à masquer le sentiment de froid qui l’avait saisi, et la tension dans ses muscles tout à coup. Elle avait prit l’habitude de le masquer, de se le masquer à elle-même, mais elle y arrivait de moins en moins. Il ne restait plus qu’à espérer que Zofia ne lui pose pas de question, ou même mieux, qu’elle change de sujet. Malheureusement pour elle, la jeune femme fit tout le contraire. Joanne attrapa sa tasse et but une longue gorgée de café en écoutant sa question. Ce qu’elle faisait de ses journées ? Rien du tout, justement, mais elle pouvait difficilement l’admettre. Plus que la honte d’admettre à Zofia qu’elle était devenue une femme oisive qui vivait au crochet de son mari, elle avait peur que Zofia essaie de la convaincre de démarrer une activité. Elle n’avait pas envie de devoir encore chercher des excuses, de devoir lui mentir. Elle reposa sa tasse délicatement dans sa soucoupe avant de lancer un sourire timide en direction de la kiné. ”Oh, je m’occupe pas mal dans le village.” Oui, l’organisation de la kermesse une fois par an, parfois quelques soirées ou après-midi pour une oeuvre de charité qui tenait à coeur à son beau-père. Et entre ça, le vide total. Elle se demanda s’il ne valait pas mieux rester vague, mais elle ne voulait pas se montrer malpolie. Zofia faisait l’effort de se montrer curieuse, et elle n’avait pas envie de lui répondre en une poignée de mots, comme si elle s’en fichait. ”J’ai aidé à organiser les décorations de Noël sur la place, et puis on va bientôt commencer à préparer la kermesse.” Elle avait espéré intriguer Zofia, lui donner au moins l’impression qu’elle servait à quelque chose, mais le récit de ses activités lui semblait si triste qu’elle avait du mal à poursuivre. Elle s’était souvent dit qu’elle avait besoin d’une occupation, d’un passe temps, mais elle n’avait jamais véritablement décrit sa journée à haute voix à quelqu’un, et le résultat lui donnait envie d’aller s’enfermer quelque part pour pleurer. Elle ne faisait rien. Rien de ses journées. Rien de sa vie. Joanne sentit son coeur s’emballer et elle se força à se calmer. Elle avait commencé à avoir des crises d’angoisse récemment, et elle ne pouvait pas se permettre d’en avoir une maintenant. ”Mais c’est vrai que j’ai la chance de ne pas avoir à travailler, alors ça me laisse le temps de faire un peu ce que je veux.” Joanne se força à sourire pour faire passer son mensonge. Ce qu’elle aimait, elle ne pouvait justement pas le faire, enfin pas en l’avouant à son mari. Et pourtant, elle avait retrouvé l’envie de peindre ces derniers temps, elle avait retrouvé un peu de la flamme qui l’animait quand elle était plus jeune, et les mots sortirent de sa bouche sans qu’elle ait vraiment eu le temps d’y réfléchir à deux fois. ”J’ai repris un peu la peinture par exemple.” Elle savait que c’était stupide d’en parler, et que ce n’était qu’à moitié vrai, mais elle n’avait pas pu s’en empêcher. Peut-être qu’elle avait eu envie de montrer à Zofia qu’elle n’était pas si triste, pas si pathétique. Un mensonge, encore un autre.

Joanne tenta de sourire doucement en écoutant la réponse de Zofia. Elle avait l’air sincèrement enjouée à l’idée de parler de la kermesse, mais Joanne ne pouvait pas s’empêcher de se demander si elle n’en rajoutait pas un peu. Si elle ne faisait pas un peu semblant pour ne pas la vexer, pour lui faire croire que c’était véritablement une occupation digne de ce nom. Elle savait bien que ce n’était pas le cas, mais sincère ou non, elle était tout de même un peu soulagée par la réaction de la jeune femme. Elle avait commencé à participer à ces événements parce que George le lui avait demandé, mais elle avait fini par les apprécier un peu, surtout quand elle voyait les enfants du village s’amuser, se courir après dans l'herbe pour s’arroser avec leurs pistolets à eau. Ce n’était pas grand chose, mais Joanne avait appris à se contenter de peu avec les années. Et peut-être que c’était la réaction de Zofia qui lui donna le courage d’aller plus loin, d’aborder le sujet de la peinture. Ça, ou alors elle s’était sentie si minable qu’elle n’avait pas pu s’empêcher de changer le sujet, de tenter quelque chose qui pourrait rattraper l’ennui de sa vie de femme au foyer. Peu importait dans le fond, l’important c’était que Zofia avait l’air intéressée par le sujet, et qu’elle avait perdu la petite lueur de pitié que Joanne avait cru lire au fond de ses yeux. Elle hocha la tête en l’écoutant parler, un petit sourire venant étirer ses lèvres quand elle lui parla de ses hommes bâtons. Personne ne pensait savoir dessiner, et les gens se faisaient souvent une montagne de choses très simples quand il s’agissait de dessin ou de peinture, mais Joanne avait été comme eux à une époque. Elle attrapa sa tasse pour boire une gorgée de café en entendant la question de la jeune femme. Une habitude qu’elle avait prise avec les années, une tactique pour gagner quelques secondes et éviter les questions gênantes, celles auxquelles elle ne pouvait pas se permettre de répondre honnêtement. Pourquoi tu marches si lentement ? Tu n’as pas envie de trouver un boulot ? Comment va George ? Bientôt des enfants ?. Ces questions. ”Oh, quand j’étais à l’école je devais faire un peu de tout. J’aimais beaucoup étudier les maîtres. La vérité c’était que Joanne n’avait pas eu le temps de véritablement découvrir sa spécialité en terme d’art. Elle avait adoré étudier les chefs d'œuvres d’un autre temps car elle était fascinée par leur capacité à transmettre des émotions tout en peignant des paysages si réalistes. Elle avait espéré atteindre leur niveau un jour, mais elle avait abandonné tous ces espoirs en épousant George et en emménageant à Donwell. À l'époque, elle s’était dit qu’elle trouverait de nouveaux rêves, mais elle n’y était jamais parvenue, et maintenant voilà qu’elle avait de plus en plus envie de se remettre à la peinture, c’était comme retomber amoureuse d’un copain d’enfance. Elle releva les yeux vers le visage de Zofia, un sourire un peu timide au coin des lèvres. ”J’ai toujours préféré la peinture réaliste, je crois que j’aimais surtout composer une scène, arranger les couleurs pour partager une émotion à partir d’une toile blanche.” Elle secoua doucement la tête. C’était sans doute stupide de dire ça, et Zofia ne comprendrait surement pas ce qu’elle essayait de dire. Elle n’avait jamais été douée pour parler de ses sentiments, et c’était justement pour ça qu’elle avait autant aimé la peinture. C’était sa manière de s’exprimer. Joanne s’éclaircit la gorge avant de jouer avec sa tasse, presque inconsciemment. ”Mais j’avais une copine de promo qui adorait dessiner des personnages de cartoon, elle était vraiment douée. Elle travaille pour un studio aux États-Unis maintenant, et je ne suis pas étonnée, elle avait toujours des tas d’histoires à raconter, et elle adorait les dessiner.” C’était probablement pour ça que Joanne n’avait jamais réussi à dessiner des cartoons, elle n’avait jamais rien eu à dire, aucune histoire à raconter. Elle se força à sourire pour masquer la tristesse que cette pensée évoquait. ”Tu devrais essayer, je suis sûre que tu aurais pleins de choses à raconter en plus.”